Bizarrement sous-estimé, étrangement méconnu, BOULE DE FEU est pourtant de l'une des réussites les plus exemplaires d'Hawks - aidé par Billy Wilder au scénario. Des vieux garçons enfermés pour écrire une encyclopédie, à la vie réglée comme une pendule sous la surveillance d'une gouvernante à la dure, certes le point de départ est quelque peu improbable. Le grammairien joué par Cooper, s'avisant que son article sur l'argot est complètement dépassé, décide d'aller enquêter in situ (ce qui nous vaut un chapelet d'expressions très drôles que la traduction française parvient à restituer) ... et tombe sur une chanteuse de troquet liée à la mafia. Tu voulais du réel, en voilà ! Les archétypes sont plantés, Stanwyck va dessaler tout ce petit monde, et en retour s'ouvrir à des modèles masculins plus singuliers - le côté savant lunaire mal dégrossi de Cooper n'est pas toujours sexy, et c'est très bien.
Or voilà-t-y pas que la screwball comédie se teinte de mélancolie. La demoiselle doit se cacher de la police, et fait croire à Cooper qu'elle l'aime pour loger quelques jours à demeure. Le vieux garçon n'en revient pas. Sa joie et son émotion impriment aux scènes une subtile cruauté, culminant alors qu'il croit téléphoner au père (en réalité l'amant hilare de Stanwyck, joué par un Dana Andrews terrible) pour faire sa demande en mariage. Le ton change et vire en comédie de moeurs, s'écartant du splastick déluré des comédies hawksiennes avec Cary Grant.
C'est un film d'une grande tendresse vers ses personnages, autant principaux (l'énamoration du couple, l'explication du "miam-miam" qui permet le premier baiser) que secondaire (les petits vieux gentiment croqués comme les nains de Blanche-Neige). C'est à l'un d'eux, le veuf botaniste, que le film doit sa scène la plus forte et l'un des sommets d'émotion de toute l'oeuvre d'Hawks. Un soir à table il évoque sa femme disparue qu'il compare à une anémone, repense à leur lune de miel, aux jours heureux, et pour finir demande à l'assistance de chanter une chanson, encore et encore, comme si la flamme ainsi rallumée ne devait plus s'éteindre. C'est déchirant. Même si le récit rebondit ensuite en courses-poursuites plus classiques, il restera marqué du sceau de cette tristesse : il ne faut pas passer à côté des joies fragiles de la vie.