Joan Crawford illuminait le prétoire et les flashbacks chez Cuckor dans "A Woman's Face", mais force est de constater que le rôle que lui a confié Michael Curtiz dans ce "Boulevard des passions" (Flamingo Road) ne lui permet d'atteindre les mêmes sommets. Sans doute que la raison numéro 2, après l'omniprésence du shérif véreux interprété par Sydney Greenstreet qui occupe beaucoup trop d'espace, repose sur le manque de caractère de son personnage, sans cesse trimballé d'une personnage masculin à un autre.
Sa trajectoire est pourtant des plus appréciables, avec cette ascension involontaire en haut de la pyramide politique via son amant, qui a le malheure d'être (pendant un certain temps) le protégé de l'affreux shérif. Mais sous son apparence tendre, l'homme dont elle est éprise cache une franche vénalité : aidée par le machiavélisme du shérif, elle sera poussée en prison, puis dans un salon, avant de tomber dans les bras d'un homme un peu plus respectable. La corruption est absolument partout, et le tableau de la société américaine qui en résulte est d'une noirceur et d'une amertume particulièrement prononcées. Les rares personnages honnêtes se font invariablement bouffer par les dents longues qui rôdent, semble nous dire Curtiz. Dommage que le happy end, si on peut dire, vienne colorer ainsi le final. Il flotte sur l'ensemble, en plus d'une certaine rigidité scénaristique (le shérif malmène tous son entourage de manière très unilatérale, sans aucun problème, sans une once d'ambiguïté), une froideur cynique vraiment agressive. Les dialogues sont particulièrement touffus, et certaines réparties cinglantes sont excellentes :
Sheriff Titus Semple: Now me, I never forget anything.
Lane Bellamy: You know sheriff, we had an elephant in our carnival with a memory like that. He went after a keeper that he'd held a grudge against for almost 15 years. Had to be shot. You just wouldn't believe how much trouble it is to dispose of a dead elephant.