Boxing Helena
4.7
Boxing Helena

Film de Jennifer Lynch (1993)

... ou un moignon dans un gant de velours

Le film d'une femme hantée par l'image d'un père. Et pas n'importe lequel, David Lynch, à l'aura telle que sa fille n'aura pas réussi à s'en détacher pour sa première fois derrière la caméra. Son cinéma prendra un tournant bien différent par la suite que ne laisse pas présager ce premier film. La présence trop imposante d'un père élevé au rang d'auteur culte ? Ou la conscience d'un cinéma encore trop jeune ? En tout cas, Jennifer Lynch ne reviendra derrière la caméra que quinze ans plus tard, pour un film de genre au kitsch tout aussi ridicule que celui de Boxing Helena mais avec toute la conscience de celui-ci. Il lui faudra ça pour arriver à trouver sa propre voie et à rejoindre son père sur le terrain du second degré en s'en éloignant judicieusement. Avec des airs de sous-Twin Peaks, Boxing Helena brille de la présence tout autant bénéfique que malvenu de Sherilyn Fenn. La magnétique Audrey Horne de la série de Lynch père se voit trouver ici un rôle de femme fatale à la hauteur de ses attributs. Un rôle qui ne fait d'elle qu'une pâle imitation de ce qu'elle était déjà dans Twin Peaks avec beaucoup plus de talent. Les couleurs passées, la bande-son rétro et elle, surtout, rappellent l'ambiance nébuleuse de la série sans parvenir à en saisir l'essence. De ce qu'il est nécessaire d'en dire, Boxing Helena n'est pas un bon film, il ne peut être considéré comme tel. Rapidement oublié d'ailleurs tant par la critique que par le public qui ne fut pas au rendez-vous, il s'y trouve pourtant bien d'intérêts. Si on le prend comme un essai et qu'on regarde plus loin que ce que l'image voilée nous laisse voir.

Tel un mythe de Pygmalion retourné, Boxing Helena montre un homme qui fait d'une femme son objet, sa statue, Vénus de Milo véritable. Et cela, par amour, l'amour d'un fou. La métaphore est simple, la réalité horrible et pourtant, l'atmosphère est chargée d'une paix et d'une sensualité impensables. Helena est l'objet du fantasme et sa présence rayonne "comme dans un rêve". Celui d'un homme tordu, dévasté par son propre désir, celui inavoué de n'avoir cette femme indépendante que pour lui, de posséder ce qui lui a manqué : l'amour. Maternel, érotique, la confusion se fait ici. A posséder cette femme ainsi, c'est elle qui ne peut plus se passer de lui, c'est lui qui devient indispensable. La bascule de la simple fascination, d'un voyeurisme et d'un harcèlement modérés à l'horreur pure de la mutilation se fait en un clignement rapide. Celui de l’œil qui se ferme pour entrer en sommeil.

Helena est une belle femme, au fort caractère, qui joue de ses charmes comme elle se joue des hommes par la suite. De son corps, elle n'offre que l'enveloppe. C'est elle qui possède le contrôle en utilisant les codes du désir masculin. La couper de son corps, c'est la couper de son pouvoir. En quelque sorte, elle l'a bien mérité, son sort. C'est ce que semble nous dire le film en nous la peignant comme un personnage sublime mais désagréable. C'est qu'elle renverse les clichés originels. On lui reprocherait presque de remettre à sa place ce bon chirurgien qui semble l'aimer inconditionnellement. Ce bon chirurgien qui trompe sa petite amie et essaye de forcer l'attirance d'une autre femme. Le film nous démontre, volontairement ou non, la puissance de la suggestion et des images. Et de par ce fait, empêche toute empathie et toute compassion. Il offre le point de vue du chirurgien, condamné à aimer une femme qu'il découvre allergique à son amour. Le naturel de la situation n'est que le reflet de son regard. Helena accepte son sort d'un comportement raisonnable. Peu de cris et peu de pleurs. Seulement de la résignation.

Le film de Jennifer Lynch possède l'aspect lisse et courtois des films érotiques des années 70. Les scènes de sexe s'y apparentent d'ailleurs. La réalisatrice ose juste ce qu'il faut pour éveiller le regard du spectateur à l'interdit sans outrepasser les limites de la bienséance. Les scènes se déroulent dans une atmosphère ouatée, les personnages flottant dans la nébuleuse des ralentis exagérés. Le kitsch ici est assumé mais comme inavoué. Le sérieux des personnages et de la mise en scène empêche le recul nécessaire à l'appréciation de ses images. Devant les images du film, le spectateur se sent comme un adolescent surpris devant un film érotique tel qu'il en passait tard le soir avant l'apparition d'Internet. Le désir de voir est présent malgré la pauvreté filmique. La honte aussi, de regarder "ça". Et "ça", ici, c'est à la fois la perversion de la tension érotique et de l'acte inavouable. La subversion attire autant qu'elle repousse et bien qu'emballée dans l'agréable papier de soie douce de la réalisation de Jennifer Lynch, elle ne peut qu'éveiller l'intérêt voyeuriste de chacun. Celui de la transgression des tabous.
Mélanie_Dagnet
6
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le 13 janv. 2015

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Mélanie Dagnet

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