Poison Girl
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La caméra regarde Jesse, elle la fixe quand soudain cut au noir. Et le plan revient, identique. Dans ce court instant de pénombre, à avoir trop regardé la jeune fille, son image s'est imprimée sur notre rétine. Même quand elle n'est plus là, sa beauté rémane. Quand on regarde Jesse, on regarde Elle Fanning et on se demande si elle l'a vraiment « ce truc » et qu'est-ce que ça peut bien être ? L'actrice joue un personnage mais il reste quelque chose d'elle : la beauté fait partie de ce qui reste. Nicolas Winding Refn induit le trouble dans ce jeu de références entre femmes, actrices et son propre cinéma. La beauté lui a souvent été reproché dans sa sophistication, sa superficialité et The Neon Demon est la réponse parfaite à cette critique, si parfaite.
Dans la villa, à la soirée, derrière une porte, un rideau, les jeunes femmes traversent des couloirs : les coulisses d'un studio de cinéma. Elles ne s'y arrêtent pas, la caméra non plus. Elles franchissent cette limite car elle n'existe plus vraiment. Rien de tout cela n'est vrai. La fiction s'invite dans la réalité. La caméra s'éloigne de Jesse qui baigne dans du faux sang jusqu'à ce qu'on ne le distingue plus mais qu'on voit le studio, le néon : même la mort est une mise en scène.
Nicolas Winding Refn veut révéler l'invisible : rien ne peut être caché dans l'espace des villas spacieuses, des immeubles ouverts, des studios blancs, de la morgue, des néons sur les peaux nues dont aucun défaut ne paraît. Les flashs comme les stroboscopes envoient toujours plus de lumière pour mieux voir mais dans l'instant d'après, aveuglés, on ne voit plus rien du tout. C'est dans ce noir que se nichent les prédateurs, le mal qui ronge à l'intérieur. Ce noir dominé par la lune, la première à qui Jesse a demandé « Tu me vois ? » car rien n'importe plus que d'être vue. Et à être trop regardée, comme face à Méduse, on se fige et on meurt. Ruby maquille les cadavres comme elle maquille les mannequins : quelle est la différence ? A la soirée, dans le studio, tout le monde est statufié, en pose perpétuelle.
Autre figure mythologique : Narcisse est dans tous les miroirs, les filles y sont regardées au travers, encadrées. Quand Jesse signe le contrat de mannequinat, ce qui semblait être un plan normal dézoome pour révéler le miroir. C'est là qu'elle vit maintenant, c'est là qu'elle se voit, qu'elle s'aime de plus en plus jusqu'à devenir auto-suffisante. Toutes les autres femmes sont des miroirs déformés d'elle : ses paillettes se retrouvent sur l'une, la tresse sur l'autre... The Neon Demon est un conte cruel sur les femmes, vues comme des lumières qui s'éteignent dans la nuit de l'innocence, qui deviennent peu à peu des fantômes. Et ce n'est pas un hasard si deux scènes importantes du film se déroulent dans des toilettes : elles sont le lieu de la rivalité, de la complicité féminines. Jesse suit la ligne rouge pour s'y rendre : rouge comme le sang des règles, de la virginité, comme le sien qui va couler.
Créée
le 20 août 2020
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