À seulement 24 ans, le tout jeune cinéaste John Singleton débarquait en 1991 avec une œuvre d’une maturité à faire trembler plus d’un réalisateur, exposant aux yeux du monde entier la réalité d’une Amérique cachée à la vue de tous. Une Amérique des marges, fourmillant autour des méga-cités, ici il est question de Los Angeles, sujet à des taux exceptionnellement élevés de criminalité, et de meurtre particulièrement violent.


Témoignant d’une réalité sociale inspirée de sa propre expérience, John Singleton mit un point d’honneur à adapter lui-même son scénario, malgré l’avis du Studio. Récit semi-autobiographique, c’est là plus qu’une œuvre sur une jeunesse désœuvrée, c’est le témoignage direct du vécu d’une personne. Se dégage ainsi du métrage une authenticité non feinte, qui ne tient que par la nature très personnelles de l’ensemble.


Le récit suit le parcours initiatique de Tre, de son enfance en 1984, à sa sortie de l’adolescence en 1991. Il est laissé à son père, par sa mère qui a repris ses études, et à besoin de tout son temps. Il se retrouve ainsi au milieu du quartier sensible de Crenshaw. Lieu qui fût livré aux violentes émeutes secouants la région en 1992. Tre s’y fait des amis, ce qui permet au récit de présenter des personnages aux destins bien différents.


Il y a ceux qui veulent échapper à leur condition en misant sur le système. Les études pour Tre, et une bourse sportive pour son meilleur pote Ricky. Quand le frère de ce dernier, Doughboy, vivote de menus larcins, au cœur d’une guerre de gang, qui rythme leur quotidien. Le quartier est sujet à des fusillades quotidiennes, devenues banales. Tout comme le harcèlement policier, qui pour un rien peut dégénérer en pugilat. Pas forcément l’endroit idéal pour se faire à la vie.


Sur une note bien plus réaliste et bien moins satirique que ‘’Do the Right Thing’’, c’est pourtant suite au succès de ce dernier que la Columbia donna son feu vert à John Singleton. Sans le savoir, le Studio lançait avec ce film la mode bien codifiée des ‘’Hood Films’’, qui s’étendra jusqu’en 1996.


Sous ses aspects pessimistes, témoignant de l’engrenage interminable de la violence, qui entraine de la vengeance, donc décuple une violence inutile, au cœur d’une communauté qui partage pourtant le mime quotidien, ‘’Boyz n the Hood’’ cherche malgré tout à présenter un espoir pour ses protagonistes. Comme des milliers de jeunes des ghettos, ils essayent tant bien que mal de mener une existence, entre la tentation des gangs et la répression de la police.


Certain parviennent à s’en tirer par l’art de la contre-culture, comme c’est le cas pour John Singleton, qui va ensuite se faire un nom à Hollywood. Même s’il ne retrouvera jamais le niveau de ce premier film, qui restera l’œuvre d’une vie. Ou bien le parcours de O’Shea Jackson, mieux connu comme Ice Cube, ex-membre de N.W.A, qui popularisa le gangsta rap. Il vient lui-même d’une des banlieues les plus violentes de Californie, Compton, qui dans les années ‘70 était la ville avec le taux de criminalité le plus élevé des États-Unis. Voilà un peu le tableau.


‘’Boyz n the Hood’’ ne fait pas ‘’semblant’’, il est d’une rigueur quasi-documentaire, orientation qu’il aurait d’ailleurs très bien pu prendre au vu du rendu final. Mais l’impact n’aurait peut-être pas été tout à fait le même. Puisqu’il tient beaucoup de sa force dans la dramaturgie employée par son auteur. Elle démontre une volonté de transmettre un message, aux travers du destin de personnages qui servent tous un propos bien précis.


La manière dont est écrit le scénario révèle un fort sentimentalisme de la part de John Singleton, apportant une douceur qui permet de mieux faire fonctionner l’empathie pour ses protagonistes, qui ne sont pas juste des fonctions (ce qu’ils deviendront malheureusement par la suite, avec l’effet de mode) mais d’authentiques californiens. Livrés à eux-mêmes dans une société qui les ignores, et les considère tous comme de potentiel criminel.


Que ce soit Tre (un peu fade, dû à l’interprétation d’un Cuba Gooding Jr. qui manque cruellement d’incarnation) et son meilleur ami Ricky (Morris Chestnut), son père Jason (Lawrence Fishburn) et sa mère Reva (Angela Bassett), tous sont présentés de manière à ce qu’ils dégagent une profonde humanité. N’aspirant à rien d’autre que devenir ce qu’il souhaite, contre une société qui se complait à leur mettre des bâtons dans les roues. Leurs parents, leurs grands-parents, et au-delà, se sont battus les Droits Civiques, et ils comptent bien leur rendre justice.


Mit en porte à faux, se trouvent les personnages de Doughboy, de Dookie et de Chris, qui ont pour leur part abandonnés tout espoir de s’en sortir. Ayant connu la prison, témoins trop souvent de l’injustice ambiante, ils sont les proies de la séduction des gangs locaux. Et ne font pas dans le pacifisme. Prêts à prendre les armes si cela est nécessaire. Leur comportement reflète un véritable nihilisme, né de leur condition humaine et sociale.


Ce qui rend ‘’Boyz n the Hood’’ aussi évocateur, c’est dans cette capacité qu’il a à convoquer une réalité qui se mêle dans sa fiction. Car au-delà du fait que tous les personnages soient inspirés de personnes que John Singleton a rencontrées au cours de sa jeunesse, le drame rattrape son œuvre, frappant des comédiens présents dans film.


Pour exemple le personnage de Chris est en fauteuil roulant après avoir été blessé par balle. Il est interprété par Regi Green, devenu réellement paraplégique à l’âge de 6 ans après avoir reçu une balle perdue. Il y a également Dedrick G. Gobert qui interprète Dookie, qui en 1994 fût assassiné lors d’une fusillade entre gang. Ou bien la tragédie qui frappa Lloyd Avery II, interprète d’un membre des ‘’Bloods’’, il rejoindra réellement ce gang. Avant d’être assassiné en prison en 2005. Ces drames rappellent la promiscuité qu’entretient ‘’Boyz n the Hood’’ avec la réalité.


Pour un métrage réalisé par un jeune cinéaste inexpérimenté de 24 ans, il ne peut qu’impressionner, de par sa justesse et sa description de la violence. Autant physique, qu’institutionnelle. Peu d’espoir est laissé à ces générations peuplant les vieux quartiers délabrés, écartés des villes. Les lieux mêmes du tournage seront un an après la sortie du film le théâtre d’émeutes, dans le cadres de celles qui ont enflammées Los Angeles en 1992.


Il n’est pas étonnant qu’un air sulfureux de révolte plane au-dessus de ces populations, dont l’opinion public préfère détourner son regard, laissées à l’abandon, confrontées à la pauvreté, rongées par les gangs et la violence, avec la mort qui rôde à chaque coin de rue. ‘’Ce n’est pas une vie’’ comme dirait l’autre. Mais c’est en tout cas une réalité, et c’est ce que rappel magistralement ‘’Boys n the Hood’’.


Une œuvre terriblement humaine, importante et nécessaire, surtout lorsque l’on voit la situation actuelle aux États-Unis, et des mouvements contemporains comme ‘’Black Lives Matter’’. Mais au-delà même de la Californie, et du pays de l’Oncle Sam, des situations similaires se retrouvent à travers le monde. Ce qui donne à ce premier film de John Singleton une portée universelle.


-Stork._

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le 3 avr. 2020

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