Grâce soit rendue à Arthur H. qui, lors d’un Étrange Festival d’il y a quelques années (et auquel il n’avait pas pu se rendre, coincé à la gare depuis laquelle il enregistra tout de même un message vidéo) me fit découvrir cette remarquable comédie qu’il avait sélectionnée (quelques années avant le premier volet, donc, curieusement moins visible chez nous).
Bien sûr, le film, plus encore que le premier, repose beaucoup sur le numéro de Gassman. J’en ai vu certains que ce numéro fatiguait : je le trouve quant à moi absolument jouissif (et l’acteur lui-même a l’air de beaucoup s’amuser). Oui, il est en permanence à plein régime, le bouton réglé sur 11, pour le dire à la façon de Spinal Tap – mais qui, ici, attendrait autre chose ?
D’ailleurs, pour parler de la tonalité globale du film : je me dis que ce genre d’épopée bouffonne a peut-être des antécédents importants dans la culture italienne. Je pense aux poèmes épiques, démesurés et foisonnants, du Quattrocento et Cinquecento, dans lesquels les épisodes burlesques ne sont pas si rares, ou encore aux adaptations de chansons de geste dans le théâtre de marionnettes sicilien. J’ai l’impression qu’il y a une tradition italienne longtemps vivace de l’épico-comique : tout ça a sans doute nourri le film. Mais évidemment, comme on n’a pas ici de puissants guerriers, même burlesques, mais un matamore et des traîne-savates, on pense également aux récits picaresques (et la structure du film, succession d’épisodes souvent satiriques, appartient aussi résolument à ce genre).
Soyons clairs, je n’ai pas trouvé le film désopilant. Je n’ai pas ri tant de fois que ça (de ce point de vue, d’ailleurs, c’est peut-être le premier qui m’a semblé le plus franchement drôle). Non, ce qui me plaît, ici, c’est plutôt une sorte de gaieté débridée, une énergique humeur carnavalesque qui fait que sans pour autant rire, j’avais un sourire aux lèvres du début à la fin. Il y a un bonheur à se retrouver dans un monde où tout est possible, y compris le plus idiot.
Pour ce qui est de la dimension carnavalesque, d’ailleurs, je trouve pas mal de figures d’inversion dans le film, souvent visuellement fortes (les pèlerins jugés hérétiques enterrés à l’envers, jambes sortant du sable ; le pénitent masochiste, jamais à court d’idées pour augmenter sa souffrance ; le lépreux qui se révèle être une séduisante princesse). Mais comme dit, on pense aussi par moments à des types de spectacles comme le théâtre de marionnettes (le duel entre Brancaleone et Thorz, où le premier se laisse stupidement bander les yeux, n’évoque rien tant qu’une scène de Guignol), ou à des danses populaires (merveilleuse scène où la chanson composée par Rustichelli, avec son air de fanfare pseudo-héroïque, est entonnée par Brancaleone et d’autres personnages, avant de s’interrompre tragiquement).
Les trouvailles scénaristiques (du fabuleux duo Age-Scarpelli – y a-t-il une comédie italienne qui ne soit pas écrite par eux?), telles que les deux papes ou le stylite sur sa gigantesque colonne me semblent moins donner lieu à des gags développés qu’être simplement là pour manifester l’absurdité tout à la fois désolante et malgré tout réjouissante du monde. Ce qui vaut aussi pour les scènes les plus remarquées, comme celles, très belles, de l’arbre aux pendus ou du combat avec la mort, où se déploie un merveilleux qu’on ne trouvait pas encore dans le premier volet. D’ailleurs, à ce sujet : j’aurais juré avoir déjà rencontré cet arbre aux pendus dans un roman médiéval (arthurien ? ), mais je ne retrouve aucune référence (et le web n’a rien d’autre à m’offrir qu’une gravure de Callot...). Quant aux dialogues et au duel avec la mort, ils ne devaient apparemment rien à Bergman (comme quoi ...)
Et cette remarque sur l’absurdité vaut encore pour les jolies séquences animées, qui permettent de retrouver un certain sentiment ‘enfantin’ propre à une partie de l’iconographie du Moyen-Age, ou toute la fin soudainement rimée , sans raison apparente. J’y vois des variations purement gratuites, justifiées uniquement, au fond, par l’énergie du film. Et le bonheur de la gratuité me paraît justement un élément essentiel de certaines comédies, surtout théâtrales (par exemple des comédies de Shakespeare). On pourrait presque l’opposer, d’ailleurs, au malheur de la nécessité qui fonde, lui, les tragédies...
Il faut aussi dire un mot de l’humanité du film, mise en avant seulement à quelques moments essentiels, mais qui lui permettent d’aller au-delà de la farce. Les paroles posthumes des pendus apportent une gravité inattendue, mais qui n’en est que plus marquante. Brancaleone, fanfaron et pleutre, se révèle malgré tout capable d’une bravoure authentique et garde toujours, me semble-t-il, notre franche sympathie. Et l’amour de Tiburzia pour lui connaît une belle conclusion tragique, un peu transfigurée, pour une dernière fois, par la magie.
Et à propos de Tiburzia : hors de question de terminer la critique sans parler de Stefania Sandrelli ( à l’inverse du DVD d’ESC Editions, qui ne juge pas utile de mentionner son nom sur la jaquette, au contraire de ceux d’Adolfo Celi, Sandro Dori ou Beba Loncar, ce qui est tout de même un véritable scandale). Bon, déjà, comme dans chaque film où elle joue, elle me donne envie de sauter dans une machine à remonter le temps pour la demander en mariage. Mais en dehors de ça, elle s’en sort très bien dans un rôle qui est clairement le plus important du film après celui de Gassman (même si, évidemment, bien après lui). L’espèce de désinvolture boudeuse avec laquelle la sorcière aborde tout ce qui se présente à elle (y compris, tout de même, lorsqu’on veut la brûler ! ) lui donne un humour léger qui, tout à la fois, s’inscrit parfaitement dans un récit qui lui-même ne prend pas grand-chose au sérieux, et contraste très agréablement avec le jeu hénaurme et magnifique de Vittorio Gassman.
De Monicelli, je n’ai jusqu’ici vu que les deux Brancaleone – mais il faudra réparer ça !