Grosse découverte ce Brazil qui forge une place de choix parmi les films d'anticipation transgenres que je préfère. Et s'il est impossible de catégoriser cette pépite de Gilliam, elle vient tout de même foutre un grand coup de latte au genre, en le renouvelant totalement pendant 2h. Car là où généralement les auteurs de SF d'anticipation misent sur la science et la rigueur, Gilliam insuffle à Brazil une folie totale qui lui permet de ne jamais sombrer dans une noirceur déprimante, la couleur étant toujours présente à l'image, lors de séquences oniriques du plus bel effet où l'ex Monty Python laisse aller toute sa fougue créative, mais également dans son portrait souvent burlesque, même si totalement acerbe, d'une société au régime totalitaire on ne peut plus rigide.
C'est d'ailleurs en cette thématique centrale que Brazil trouve une force dévastatrice. Gilliam se sert de son film pour pointer du doigt cette quête de contrôle qu'ont les hommes afin de gravir les échelons vers le pouvoir, qui fait partie de nos sociétés modernes. A l'instar de grands auteurs de SF de ces dernières années, il anticipe une société rugueuse où l’intransigeance robotique des machines remplace la compassion humaine. Et bien entendu, quand l'engrenage se fait visiter par une impureté inopportune, les conséquences sont aussi immédiates que fatales.
Mais ce postulat de départ, aussi noir soit-il dans ses origines, est sans cesse transcendé, d'une part, par cette bonne humeur visuelle que l'univers de Gilliam apporte au film mais également par le jeu des différents comédiens mis en scène. Du look improbable de ce terroriste efficace incarné par l'excellent De Niro aux nombreux sketchs qui ponctuent le film, on ne cesse de sourire tout au long de la séance, le réalisateur ne souhaite jamais tomber dans un traitement glauque très premier degré et c'est appréciable. Jusqu'à cette fin triste et belle tout du moins, qui, elle, nous ôte tout sentiment de bonne humeur, tant elle est implacable et dévastatrice. Pour le reste du film, on pourra aussi compter sur cette omniprésence amusante du très habité Jonathan Pryce pour détendre l'atmosphère. Sans cesse à la frontière entre la farce et la dénonciation, son personnage permet au film de rester complètement divertissant.
Enfin Brazil c'est aussi un gros travail en matière de direction artistique et de photographie. Les différentes ambiances créées pour l'occasion ont certainement demandé un boulot titanesque et le résultat, encore aujourd'hui est bluffant à l'écran. Gilliam parvient, grâce à des placements de caméra ingénieux, à rendre l'immensité de ses décors avec une facilité déconcertante. On est complètement transporté dans ce monde pittoresque qu'a imaginé le cinéaste et été réalisé par des personnes talentueuses, à n'en pas douter. Bon nombre de petites séquences font leur effet, comme cette tyrolienne qui permet à Tuttle de rejoindre l'immeuble d'en face ou encore toute la séquence qui annonce la torture future de notre fonctionnaire qui n'est plus sans histoire.
Sacré moment ce film, toujours emprunt de cette générosité issue de l'univers si particulier de son auteur, mais cette fois ci également marqué par une prolifération de thématiques qui ont le mérite de faire cogiter. Brazil est un film qui implique totalement son spectateur, ne cessant de le stimuler que ce soit par l'image, les dialogues ou les propos abordés. Une oeuvre atypique qui marque les esprits pour devenir, ni plus, ni moins, qu'une référence majeure de la SF d'anticipation.