Bridgend
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Bridgend

Film de Jeppe Rønde (2015)

Rønde de nuit : nihilisme en eaux troubles

Habitant à Glasgow en Erasmus, j'ai eu la chance d'assister à la première projection britannique du film, un an après la toute première projection, aux Pays-Bas et 3 mois après la première projection française, alors que le film a pourtant été tourné au Pays de Galles, avec des acteurs britanniques.
La présence du réalisateur et des acteurs a donné lieu à une discussion intéressante bien que trop courte.


Le danois Jeppe Rønde signe ici son premier film de fiction après une carrière riche en documentaires et 6 ans de recherches et d'écriture sur Bridgend.
Mais il n'ose cependant pas abandonner son style de prédilection et avec Bridgend engendre un docu-fiction à moitié avoué. On ne le comprend qu'à la fin lorsqu'un message laconique nous indique que dans la ville galloise de Bridgend, 79 adolescents se sont donnés la mort entre 2007 et 2012.


Et ce détail, en apparence pourtant anodin, est caractéristique des défauts du film.
Jeppe Rønde, en adoptant sa démarche de documentariste, place une distance entre lui et son oeuvre et manque d'adopter un parti pris : le film évolue entre deux eaux. Rønde fait se succéder les plans sans y apporter la cohérence qui aurait permis au film de briller.


On perçoit que Bridgend fourmille de bonnes idées mais il est si confus que chacune de ces idées est mal exploitée ou insuffisamment développée. En soit, Bridgend est une esquisse de film, un brouillon qui ne sait se positionner entre élégance et naturalisme, entre nihilisme et hédonisme.


Esthétiquement, le film a bénéficié d'une grande attention et d'une volonté que l'on sent sincère. Quelques plans sont d'une beauté fascinante. La scène d'introduction, lorsque le chien emprunte un chemin de fer désaffecté avant de trouver un adolescent pendu est brillante. Pareil pour la scène finale, dans laquelle les deux protagonistes plongent dans l'eau, nus, accompagnés d'autres adolescents pendant que la forêt brûle autour d'eux ou encore la scène récurrente représentée sur l'affiche, lorsque le groupe de jeunes amis se laissent flotter dans l'eau du barrage après avoir fait le deuil, à leur manière, d'un énième suicidé.
Mais à côté de ça, il y a des plans moches, ratés. Dans sa critique, MDCXCVII qualifie la photographie du film de "naturaliste". Oui elle l'est, mais pas dans le bon sens. Quand Jeppe Rønde nous montre un plan de ciel au crépuscule avec des fils électriques devant, je me dis que je peux faire un film dans mon jardin aussi. Il y a des plans bien trouvés, d'autres dont la majesté n'est due qu'à la beauté naturelle des collines galloises et d'autres juste foireux.


Rønde a opté pour une esthétique sale, sombre et froide pour souligner le mal-être de la jeunesse de Bridgend, la chape de plomb qui pèse sur la ville. Que ce soit dans la manière de filmer, dans la photographie, la direction d'acteur ou l'action elle-même, c'est crasseux. Ambiance intéressante qu'il aurait été intéressant de faire varier.
En règle générale, la mise en scène, le cadrage et la réalisation sont typiquement danois. On retrouve la même esthétique froide, objective et impartiale chez Vinterberg ou chez Winding Refn (on observe de nombreuses similarités entre Refn et Rønde dans le rapport à la nuit d'ailleurs).


Le film n'est pas trouble et désordonné que sur le plan esthétique. Pour un scénario qui a nécessité 6 ans d'écriture, je le trouve bien lacunaire.
Le choix du réalisateur de ne pas expliquer la raison des suicides n'est pas vraiment contestable mais il doit alors se concentrer sur l'observation des rapports sociaux, sur l'évolution des relations entre les personnages, sur l'édification de cette ambiance étouffante. Mais au lieu de ça, les connexions entre les protagonistes ne sont souvent qu'ébauchées, toujours sur un entre deux, manquant d'une progression fluide.


Parfois, le film est cruellement convenu voire niais. L'histoire d'amour entre le personnage de Sara et Jamie est creuse et dispensable. L'enjeu du film, c'est de souligner le mal-être existentiel de ces jeunes, de comprendre ce qui les ronge et en quoi la mort les fascine et pourtant Rønde nous colle une tentative de suicide pour une peine de coeur. Comment le film peut être crédible après ça ?
Le suicide des adolescents puise ses racines dans les relations conflictuelles avec leurs parents, souvent au singulier dans ce contexte social pauvre et miné par le divorce. Il aurait été donc intéressant de s'attarder sur les relations que chaque jeune entretient avec ses géniteurs. On l'a un peu avec Sara et son père mais pour le reste du casting c'est bien trop maigre.


Des pans entiers de l'histoire et de l'intrigue sont également ignorés. Entre autres : la relation du père de Sara avec la femme qui partage son lit, certains ados du groupe principal qui ne servent que de figurants pour ne laisser la place qu'à 2-3 protagonistes (quand les acteurs sont arrivés sur la scène du cinéma, j'en ai découvert plusieurs), le chagrin des familles après les suicides (à part une scène insuffisante chez la mère de Thomas)...
Le film ne dure que 1h35, il y avait largement le temps de s'attarder sur ces aspects.


A côté de ça, la BO est très habile, accentuant avec finesse le tragique des scènes. Le jeu des acteurs, tout en sobriété, est difficilement reprochable également : les jeunes sont sincères, le père fait le boulot et Hannah Murray prouve ses talents d'actrice à fleur de peau.
Mais tout cela ne suffit pas à rattraper la grande maladresse du film.


Bridgend est un film fascinant dans le sens où il sème des idées brillantes dans une grande soupe maladroite. On pourrait croire pendant la projection que le monteur a tenté de ruiner le film.
Le constat est d'autant plus amer quand on sait le temps qu'il a fallu à Jeppe Rønde pour livrer ce long métrage. MDCXCVII mentionne une "pudeur exquise". Je préfère parler d'une "sincérité gauche" car je suis convaincu que Rønde est un acharné qui s'est livré corps et âme dans son film mais il rate le coche ici par un manque de rigueur. Pendant la discussion il a témoigné de sa proximité avec le suicide et à quel point il souhaitait faire un film dessus et rendre compte de la tragédie qu'il représente. Pourquoi alors faire se pendre le personnage le plus sain d'esprit après une stupide rupture plutôt que de dépeindre la crise existentielle qui en est l'origine ?

Raton
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le 29 févr. 2016

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Raton

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