Broken est à l'image d'un effet papillon dont les événements oscillent entre extrême brutalité et douce poésie. Tel un métronome, la trame narrative nous balance d'un événement à l'autre puis d'une émotion à l'autre et monte ainsi en puissance jusqu'à la fin.
Le film commence par une naissance, puis bascule sur une agression. Et c'est comme ça pendant une heure et demi : les personnages, comme le spectateur, passent de l'amour, à la haine, de la violence à la douceur, de la mélancolie à la joie, de l'union à la séparation, de l'énergie infinie à la maladie, des premiers pas dans la vie, à la mort.
Tout est déclenché par un événement violent : le voisin de notre jeune héroïne Skunk, un grand garçon que l'on devine autiste et mutique, se fait tabasser par un autre des voisins du quartier. Un acte qui aura des conséquences tout au long de l'histoire.
On peut voir dans ce récit houleux plusieurs niveaux de lecture : le premier, celui de la vie qui n'est pas un long fleuve tranquille ; le second, qui me plait davantage, la violence que peut représenter le passage de l'enfance à l'adolescence. Il y a donc deux façons de voir ce film : comme un verre à moitié plein, ou à moitié vide, de façon pessimiste ou optimiste. En clair, soit on s'apitoie sur le sort des personnages (comme peut pousser à le faire le synopsis soit dit en passant), soit on voit une évolution de chacun d'eux et un espoir d'avenir meilleur... Car dans Broken, tout n'est qu'équilibre et balancement. Pour ma part, j'ai préféré la poésie à la violence.
Il faut dire que Skunk, entourée d'adultes et d'enfants abimés, semble perdre son innocence à mesure qu'elle assiste à toutes ces scènes tristes, injustes et violentes de l'existence. Spectatrice de la souffrance des autres, la jeune fille grandit devant nos yeux mais ne perd pas pour autant son âme d'enfant, elle reste maligne, espiègle, curieuse, complexe, mature et immature... Puis, elle-même ne partait pas avec le meilleur des bagages : diabétique, elle vit avec son grand frère, son père et Katia, une jeune fille au pair. Abandonné par la mère des ses enfants, le père de Skunk, avocat, fait du mieux qu'il peut pour rester solide. Pas évident, mais il y a pire qu'elle : son voisin autiste, ses trois jeunes voisines, elles aussi élevées par leur père, maladivement protecteur (j'ai vu là une sorte de famille à la Virgin Suicides en plus punk et plus trash, mais je m'égare).
Le parcours des personnages, aussi tragique soit-il, n'est pourtant pas extraordinaire, il pourrait arriver n'importe où et être décrit dans les colonnes "faits divers" d'un journal de PQR. La prouesse du réalisateur est d'avoir su entremêler cette violence banale avec la poésie et la candeur du regard d'une enfant. D'ailleurs, la casse automobile bruyante et broyante, terrain de jeu de Skunk et des gamins du quartier, résume à lui seul ce parti pris.
D'un point de vue plus formel, j'ai été extrêmement touchée par le jeu des acteurs, la jeune Éloise Laurence (Skunk) est époustouflante, j'étais ravie de découvrir Cillian Murphy dans un rôle de prof écorché à l'opposé de Tommy Shelby (Peaky Blinders) et de voir Tim Roth (le père de Skunk) autrement que dans une série policière moyenne. La réalisation est elle aussi impeccable : les plans sont extrêmement beaux, la musique bien utilisée, le montage sert le propos, bref c'est un sans faute pour moi.
J'en retiens une chose : même sur des ruines, la beauté peut survenir comme c'est le cas dans l'art, dans la vie, dans l'Histoire et j'en passe.