Bronson, c'est l'histoire du plus célèbre bagnard britannique, au départ un dénommé Michael Peterson, convaincu dès son plus jeune âge qu'il était promis à devenir célèbre. Et paradoxalement, c'est en voulant se faire un nom qu'il va oublier le sien pour se faire connaitre sous son nom de scène Charles Bronson, baptisé ainsi par son promoteur de lutte en référence à la star d'Un justicier dans la ville et De la part des copains.
Pour ce Bronson-là, se pose tout d'abord la question primordiale, comment se faire connaître quand on n'a aucun talent particulier. C'est simple, en cognant le plus de flics possibles, de matons et tout homme en uniforme passant à sa portée.
Bronson étant un cas à part, il nous est présenté tout d'abord à l'écran comme un véritable artiste, seul sur scène façon stand-up, face à une salle spacieuse aux gradins emplis d'une foule de spectateurs plongée dans l'ombre. Grimé comme un mélange de clown blanc et de monsieur Loyal, il nous narre sa vie et sa quête particulière de reconnaissance qui se fera essentiellement en milieu carcéral et psychiatrique. Le spectateur assiste donc à une succession de séquences en flash-backs, sans véritable fil conducteur, mais relatant avec maestria les heures de gloire de ce bagnard hors du commun.
Car Bronson c'est avant tout l'histoire d'un mec qui décide de se mettre en scène. Ainsi la place de l'art est prépondérante dans le film. Le protagoniste se raconte de manière surréaliste et sur fond de musique électro-pop. Il refuse les conventions sociales, se rebelle contre l'ordre établi pour sortir de la vie banale qu'il était appelé à mener. Ce n'est pas pour rien qu'il enduit dès qu'il le peut son corps de peinture avant chaque pugilat de masse.
En regardant Bronson, on pense inévitablement à Orange mécanique. De par son anti-héros, rebelle à toute forme d'autorité, comme à son usage de musique classique pour illustrer des scènes aux antipodes de ce que la morale approuve. Refn s'émancipe pourtant du style Kubrickien, en continuant l'exploration de ses thématiques propres : la solitude, la marginalité et la violence comme exutoire. Sa signature : la prédominance de la couleur rouge, un anti-héros craint de tous, une mise en scène contemplative empruntant autant au style scandinave qu'au cinéma asiatique.
On pourra reprocher le côté auteurisant et démonstratif du réalisateur, sa volonté affichée d'aller à contre-courant des canons imposés et de chercher systématiquement à surprendre le spectateur, de s'essayer à un exercice de style qui tourne parfois à vide. Mais serait-ce vraiment un reproche ?
Le seul défaut que l'on puisse trouver à Bronson, c'est son absence de catalyseur et de structure narrative dite classique. Aucun élément ne vient expliquer les raisons premières du protagoniste et de son déchaînement de violence. Sa quête de célébrité ne suffisant pas à expliquer à elle-seule cette rage perpétuelle et toute une vie sacrifiée derrière les barreaux. Ayant eu une enfance dite normale, loin de tout événement traumatique, la psychologie du personnage reste une énigme que le réalisateur n'essaie jamais de résoudre, laissant volontairement aux spectateurs le soin de spéculer sur les véritables raisons du personnage-titre et sur sa seule motivation de la notoriété à tout prix. Ceci ne peut décemment pas expliquer une telle existence. Bronson aurait grandi à notre époque qu'il se serait peut-être lancé à corps perdu dans la course à la célébrité bon-marché véhiculé par la télé-réalité. Bien qu'il n'aurait pas été bon d'entrer en compétition avec lui.
Mais c'est bien dans l'Angleterre des années 70 qu'il aura essayé de s'émanciper de sa condition. Il est à noter que le prisonnier le plus dangereux d'Angleterre est curieusement vierge de tout homicide. Quand il tente de tuer un de ses co-détenus et qu'il échoue faute d'avoir eu le temps de l'étrangler tout à fait, il désespère et se blâme de ne pas avoir été capable de tuer une seule personne dans sa vie. Comme si le meurtre d'un homme aurait pu ajouter un peu plus à la crainte qu'il inspirait.
A travers son personnage, c'est donc cette obsession immodérée, cette quête inlassable de reconnaissance que Refn dénonce. Il s'appuie en outre sur un jeune acteur transformiste, Tom Hardy, qui en dehors des vingt kilos qu'il aura pris pour le rôle, livre une interprétation habitée et fascinante du fameux bagnard, tout en démesure et en contradictions. Il est ainsi très amusant de voir son personnage alterner les pugilats les plus brutaux et les politesses serviles lorsqu'il vient à proposer une tasse de thé à un maton ou à s'essuyer longuement les pieds avant de rentrer dans sa nouvelle demeure. Toute la dichotomie de son personnage est là. D'un côté il évolue comme un roi et un guerrier belliqueux dans ce qu'il considère comme son véritable foyer, la prison, de l'autre il se montre tout à fait maladroit et inadapté au monde libre. Il suffit de le voir déambuler dans un paysage urbain en costard cravate une taille trop basse et la démarche chaplinesque pour se rendre compte qu'il jure avec le monde extérieur. Lui-même semblera céder un temps à la promesse illusoire d'une vie normale quand il se croira amoureux d'une femme qui ne l'aime pas. C'est en braquant sur un coup de tête et sans armes une bijouterie pour elle, qu'il finira par reprendre le chemin de son incarcération et se tournera à nouveau tout entier vers son vieux rêve de gloire.
Et c'est en devenant enfin célèbre hors des murs de sa prison, qu'il s'y retrouve paradoxalement confiné dans un cercueil de métal, des ecchymoses plein la gueule et le corps. A cette notoriété toute relative, à cette réputation d'homme le plus dangereux d'Angleterre, Bronson, en plus d'y avoir sacrifié sa vie passée derrière les barreaux, y aura perdu le peu de liberté qu'il lui restait encore. Du coup, on comprend d'autant mieux que le Bronson qui s'agite sur scène à certains moments du film, n'est rien d'autre qu'une projection mentale du Bronson final se remémorant en flash-back toute une existence passée dont le traitement surréaliste de Refn met en cause la véracité.
Mais comme le disait John Ford au travers de L'homme qui tua Liberty Valence : "Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende".