Bronson est un double coup d’éclat : la naissance du formalisme de Refn, qui, débarrassé de l’épure naturaliste de la trilogie Pusher, se vautre avec le plus grand enthousiasme dans le baroque échevelé ; et celle, conjointe, de Tom Hardy, comédien gigantesque donnant la pleine mesure de son talent dans ce rôle hors norme.
Le sujet réel du film est déjà d’une potentialité romanesque extraordinaire : le parcours d’un détenu, Michael Gordon Peterson, considéré comme le plus dangereux et le plus onéreux d’Angleterre, incapable de se discipliner alors qu’il est emprisonné pour des faits mineurs.
Face à cet indomptable sauvage, avide de médiatisation et qui transformait ses méfaits en happenings, Refn adopte son point de vue : celui du spectacle permanent.
Sur une scène de théâtre, face à un public quasiment impassible (une imagerie qui évoque beaucoup le fameux Silencio de Mulholland Drive), le trublion raconte sa vie, dans une tonalité variant entre celle du monstre et du bouffon. L’ultra violence, la bête se fracassant contre les barreaux, l’ambivalence totale de ce besoin d’enfermement pour pouvoir y déployer une rage qui devrait de toute façon s’exprimer composent un parcours atypique et absolument captivant.
L’esthétisation à outrance, le recours aux ralentis et surtout à une musique constante font bien évidemment très souvent penser à une relecture d’Orange Mécanique. Bronson est un personnage tellement atypique qu’il suscite des réactions radicalement opposées : empathie pour ses conditions de détention, effroi face à ses crises, et fascination pour sa redoutable intelligence. Alter ego du metteur en scène, il envisage sa vie entière comme une création nihiliste, face à laquelle toute discipline est considéré comme un acte de censure. Dans son œuvre primale, le fond est son cri, la forme son corps, qu’il muscle et sculpte en permanence, faisant de lui une sorte de machine grotesque, thème qui traversera aussi Valhalla Rising, le film suivant de Refn, avec lequel il partage cette façon d’être au monde par la violence, sur la thématique de Fight Club : échanger, c’est prendre et donner des coups.
La question fondamentale est celle de la vérité atteinte par la forme : car Refn ne cherche pas à donner d’analyse supplémentaire à celle, souvent insaisissable et fantasque, véhiculée par Bronson lui-même. Obsédé par la communication, condamné à se faire remarquer, Bronson est un show man destructeur et glaçant qui renvoie cinéaste et spectateurs à leur statut de complices voyeurs.
Face à cet insondable individu, la forme baroque est de rigueur : dans le faste et le lyrisme, elle chante les abîmes d’un membre de la communauté humaine qu’on ne pourra jamais comprendre autrement qu’en tant que personnage romanesque.
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