Drôle de sensation, sur le papier "Brooklyn Boogie" s'inscrit dans une continuité franche avec "Smoke", même équipe de tournage, mêmes acteurs pour la plupart, même lieu, même esprit... Et pourtant, n'ayant pas conservé énormément de souvenirs de l'autre film de Wayne Wang également sorti en 1995, cette suite m'est apparue comme très différente. On retrouve le personnage central de Harvey Keitel qui interprète Auggie Wren, employé d'un petit bureau de tabac de Brooklyn, et autour duquel gravitent toutes les autres péripéties. L'impression de film à sketchs est très prononcée car le film multiplie les petites vignettes au sein desquelles une myriade de personnages évolue de manière indépendante, comme compartimentée, sans interaction les uns avec les autres dans la majorité des cas. Pas vraiment une suite de "Smoke" donc, davantage une prolongation du délire qui aurait trouvé son origine dans deux facteurs : il restait de la pellicule à la fin du tournage et tous les intervenants ne voulaient pas quitter les lieux tellement l'ambiance était bonne.
C'est donc un film tourné un peu à l'arrache mais qui s'est sans doute beaucoup structuré au montage, et dont la principale qualité tient à l'atmosphère qu'il parvient à rendre dans ce quartier de New York. Il y règne vraiment une ambiance particulière, décontractée, parfois loufoque, mais sur laquelle souffle toujours un vent de liberté caractéristique de l'époque révolue. Probablement qu'il s'agit d'une compilation d'improvisations de la part de la galerie de personnages et de personnalités célèbres, la liste est impressionnante pour animer cette chronique de quartier : aux côtés d'Harvey Keitel, on retrouve Victor Argo, Giancarlo Esposito, Lou Reed, Jim Jarmusch, José Zúñiga, Michael J. Fox et même Madonna pour un petit numéro improbable de télégramme chanté.
On ne sait pas trop où se situe la limite avec la caricature volontaire tant les portraits brillent par leur diversité dans tous les sens, tous les âges, toutes les ethnicités. Il y a Jarmusch qui pérore sur son boulot de réalisateur avec des références explicites ("Coffee and Cigarettes" est cité alors qu'il n'est pas encore sorti), Reed philosophe sur le fait de fumer, d'autres fantasment sur les gaufres belges... Un scénario filiforme, un côté bordélique et imprévisible assumé, mais un effet capsule temporelle garanti.