Bubba Ho-Tep est un film qui se sera fait attendre et espérer longtemps au moment de sa sortie. Effectivement le petit bijou de Don Coscarelli malgré son statut quasi instantané de film culte et son cote "bête de festivals" avec une multitude de prix et sélection à travers le monde (Gerardmer, Hong Kong, Porto, Bruxelles ,Montréal) aura mis près de trois ans après sa sortie américaine pour enfin débarquer sur nos écrans en 2002, enfin sur quelques écrans serait plus juste vu le nombre ridicule de copies mise en place lors de sa sortie. Bien heureux donc les veinards qui auront trouvés une salle pour découvrir Bubba Ho-Tep au cinéma car avec une exploitation en salles aussi frileuse et indigne (12 copies !!), le film aurait tout aussi bien pu n'être qu'un direct to DVD de plus et rejoindre ainsi de nombreux autres films sur l'étagère des petites merveilles cinématographiques sacrifiées sur l'autel d'une exploitation trop mercantile des œuvres. Mais voilà tout comme Shaun of the dead ou encore May, le film de Don Coscarelli ne semble avoir eu les honneurs de quelques salles obscures que pour lui assurer une plus value commerciale lors de sa future sortie DVD. C'est donc en bien DVD que j'avais pu découvrir Bubba Ho-Tep la première fois avec l'avantage de pouvoir maintenant le voir et le revoir jusqu'à atteindre l'âge canonique de ses héros.
La première force de Bubba Ho-Tep c'est évidement son histoire gentiment déjantée. Un concept bien barré qui sort de l'ordinaire et surtout de l'imagination de l'écrivain et scénariste Joe R Lansdale. Oubliez donc tout ce que l'on vous a raconté ; Elvis Presley n'est pas mort , d'ailleurs il bande encore ,enfin presque , juste une demi-érection quand les doigts agiles d'une infirmière lui passe de la pommade apaisante sur la grosseur cancéreuse qu'il trimballe au bout de la bite. Car oui Elvis est désormais vieux , malade, bedonnant et il croupit doucement dans une petite maison de retraite perdue dans le trou du cul du Texas. Evidement comme tout le monde le croit mort il est bien seul le King et les quelques personnes qui gravitent encore autour de son lit ont bien du mal à croire en lui ni à son histoire d'échange d'identité en pleine gloire avec un sosie. Mais que voulez vous , c'est comme ça les petits vieux ça radote et puis ça perd un peu la boule aussi. Alors on se moque gentiment de lui quand il prétend être le seul et unique Elvis Presley , mais comment pourrait t'il reprocher aux autres de ne pas tout à fait y croire quand lui même s'interroge sur la véritable identité d'un autre pensionnaire de l'hospice, un black qui lui prétend être rien de moins que JFK passé à la teinture noire par les services secrets américains. Les deux légendes et héros vont fatalement devenir des complices et associer leur solitude pour faire naitre une improbable mais solide amitié. Et lorsqu'une momie Egyptienne adepte du graffiti obscène menace de sucer par le cul les énergies vitales des autres vieillards de l'hospice, Elvis et Kennedy décident d'unir ce qu'il leur reste de force pour combattre le mal afin de laisser à tout ses corps en décrépitude le repos éternel de ce qu'ils leur reste de plus précieux : leur âme.
Avec un tel concept de comédie Bubba Ho-Tep aurait pu devenir une grosse farce virant à la pantalonnade grotesque en s'abandonnant avec complaisance dans le second degrés. Il n'en est strictement rien même si le film demeure extrêmement drôle. En fait Don Coscarelli a eu la très bonne idée de ne jamais faire rire aux dépends de ses deux héros vieillissants préférant porter sur ses personnages un regard tendre et touchant plutôt qu'un œil moqueur et cyniquement complaisant. L'extraordinaire drôlerie du film nait donc uniquement des situations décalées qui viennent parasiter le morne quotidien des deux vieillards et surtout des formidables dialogues du film. Il y'a notamment dans Bubba Ho-Tep une scène absolument ANTHOLOGIQUE durant laquelle JFK et Elvis décryptent et tente de comprendre la présence de hiéroglyphes obscènes laissés par la momie dans les chiottes de l'hospice. Il y'a par exemple une réplique de la VF ( Je conseille pourtant largement la VOST) qui m'a fait hurler de rire quand Elvis incrédule qu'une momie qui se nourrit uniquement d'âmes aille poser une pèche dans les chiottes s'interroge " on ne peut pas faire caca quand on avale que de l'air". Impossible également de résister à la chorégraphie martiale d'un Elvis à la hanche défaillante, luttant avec son bassin contre un cafard géant ou à la lecture complètement foireuse d'une formule pseudo- magique censée repousser les forces du mal.
Longtemps j'ai eu peur que Don Coscarelli reste le réalisateur d'un seul film (voir d'une seule saga) à savoir Phantasm . Désormais il sera aussi et surtout celui de Bubba Ho-Tep, en espérant qu'il n'usera pas jusqu'à la corde le concept comme pour son premier film dans une multitude de suites en forme de remake. Il serait dommage de briser la magie étonnante d'un film en véritable état de grâce par une exploitation forcement douteuse du filon (on parle encore d'un Bubba Nosferatu ??) . La mise en scène de Don Coscarelli est délicate et inspirée puisqu'elle fait mouche dans tout les registres qu'elle aborde ; comédie, fantastique et surtout émotion. Il a aussi la magnifique idée de donner à son récit le même rythme lancinant que la lente et déterminée marche en avant de son Elvis en déambulatoire. Car Bubba Ho-Tep est tout sauf un film d'action trépidant , plutôt le lent road movie immobile de deux personnages en quête de rédemption. Don Coscarelli nous livre aussi de magnifiques moments de pur fantastique avec les apparitions iconiques d'une momie en santiags et chapeau de cow boy du plus bel effet ou d'inquiétant long travelling avant dans les couloirs miteux de l'hospice. Il s'offre même un petit clin d'œil avec la présence de deux croques morts et d'un corbillard même si ils sont ici bien moins inquiétant que les apparitions du géant Angus Scrimm dans Phantasm. Et cerise sur le gâteau même ce bon vieux Reggie Bannister est de la partie dans le rôle du directeur de la maison de retraite.
C'est évidement impossible de parler de Bubba Ho-Tep sans évoquer la formidable performance de Bruce Campbell une fois de plus génial en Elvis à la retraite. Physiquement quasi méconnaissable, à la fois proche et très loin de la figure mythologique du King, Campbell livre ici sans doute une de ses plus belle performance d'acteur et réussit à imposer immédiatement la crédibilité d'un personnage pourtant très improbable en lui donnant une densité formidable notamment grâce à de très long monologues intérieurs. Outre son talent il faut saluer la générosité de Bruce Campbell qui n'a évidement pas choisit Bubba Ho-Tep pour des raisons financières mais uniquement par passion pour un projet que par ailleurs ses agents lui avaient fortement déconseillé de faire. Ossie Davis malgré un rôle beaucoup moins dense que celui de Campbell livre lui aussi une prestation mémorable et très drôle en JFK black et complètement parano croyant qu'on cherche encore et toujours à l'assassiner. Il faut aussi noter la formidable musique de Brian Tyler déjà compositeur de la formidable BO de d'Emprise de Bill Paxton qui livre ici un score puissant et mélancolique à écouter en boucle, sans la moindre modération et qui participe pour beaucoup à l'ambiance si particulière du film. Avec un budget plus conséquent Don Coscarelli aurait sans doute opter pour une bande originale avec des titre d'Elvis Presley , comme quoi quand on a pas de pognon on se presse la tète pour faire germer de magnifiques idées.
Au final **Bubba Ho-Tep** sous ses allures de bis improbable et de comédie délirante s'avère être aussi une œuvre délicate, un regard juste et profond sur la vieillesse. Le choix d'une icone comme Elvis n'est évidement pas due au hasard ,car en transformant cette idole parmi les idoles en un vieillard décrépit seul et abandonné ruminant ses états d'âme **Bubba Ho-Tep** nous montre comme un symbole à quel point ,peu importe le nombre de gens qui nous auront aime, la vieillesse est irrémédiablement une affaire de solitude. Sans être une œuvre moralisatrice et encore moins un récit à thèse **Bubba Ho-Tep** par petit touches successives dresse un portrait acide et douloureusement juste de notre comportement vis à vis des vieux et des anciens. Infantilisation, mépris, incrédulité, oublie, les personnages de **Bubba Ho-Tep** vieillissent largement autant dans leurs corps que dans le regard des autres. Des personnages complètement oubliés de tous qui ne se retrouvent finalement qu'en face d'eux même. Et lorsqu'ils meurent c'est au mieux dans l'indifférence la plus totale au pire dans un mépris assez épouvantable. *Don Coscarelli* illustre cette triste réalité avec la visite "tardive" car post mortem d'une jeune fille à son père et qui jette négligemment tout ce qu'il reste de la mémoire de son géniteur à la poubelle y compris sa médaille militaire. On pourrait aussi "décrypter" l'attitude de plus en plus méprisante et irresponsable des deux croques morts qui viennent chercher régulièrement les corps à l'hospice , si au départ l'un d'eux s'interroge encore sur le destin d'une vielle femme décédée, il finira plus tard par faire tomber un autre cadavre avant le refoutre négligemment et vite fait dans le corbillard . Comment pourrait on être touché par la mort de gens dont plus personne n'a rien à faire depuis longtemps?? Et puis la mort au bout de la vieillesse c'est tellement évident que cela ne semble plus déranger personne. La confrontation d'Elvis et de JFK contre la momie n'est donc rien de plus qu'un ultime combat pour la dignité et le respect de soit. Il n'est même plus ici question de pouvoir se regarder dans une glace puisque le corps fait défaut jusqu'au dégout, il n'est pas plus question du regard des autres qui devient lui aussi méprisant, il s'agit juste de se regarder de l'intérieur et de préserver jusqu'au dernier souffle son âme intact, de maintenir le feu le plus longtemps possible puisque c'est tout ce qu'il reste" I still have my soul, it's all mine........all mine" .
C'est sans doute pour tout cela que lorsqu' Elvis avec son déambulateur et Kennedy dans son fauteuil roulant s'avancent , tout les deux en habit de lumière pour un dernier combat, on est loin d'avoir envie d'éclater d'un rire narquois, tout juste on esquisse un léger sourire un peu triste avec les yeux brillant d'une magnifique émotion. Il n'est plus question de gloire ou de célébrité, plus question de reconnaissance, plus question d'être un foutu héros, plus question d'être des légendes américaines, plus question de plaire ou de séduire. Très loin de l'apparence physique , loin du regard et du jugement des autres , seul debout et droit dans ses chaussons face à la mort ( la momie n'en étant qu'un symbole à peine déguisé ) la vraie dignité se trouve dans le cœur de ceux qui se battent pour simplement la préserver jusqu'au bout.
Et n'oubliez jamais " NEVER FUCK WITH THE KING !!! "