Budori, l'étrange voyage par Eileen Tchoucky Heigh

Il m’est impossible de parler de Budori, l’étrange voyage, sans parler de ce qui, pour moi, est explicite depuis le début du film, mais qui, pour pas mal d’autres spectateurs, apparemment, est un twist final très surprenant. Je dois en parler, et explicitement, pas à mots couverts, parce que cette clairvoyance vis-à-vis de la situation a orienté toute ma perception du film. Donc, si vous n’avez pas encore vu le film, avez l’intention de le voir, et ne voulez pas prendre le risque d’être spoilé sur un élément qui, contrairement à ce que je croyais, n’est pas explicite dès le départ, je vous engage à ne pas continuer à lire cet article, du moins pas pour l’instant.
Allez-y, je ne serai pas vexée.
C’est bon, vous êtes partis ?
Très bien, j’y vais.
Budori, donc, est un adorable petit chat bleu anthropomorphisé, qui vit dans une montagne idyllique, avec son adorable père, son adorable mère, son adorable sœur, et son adorable maîtresse qui lui lit d’adorables poésies…
Ils sont troooooop morts…
Bref, la famine arrive, et bientôt, il n’y a plus rien à manger dans la petite isba familiale. Les parents décident de faire l’inverse de ce que font les parents d’Hansel et Gretel, et ceux du petit Poucet. Voyant qu’il ne reste plus de quoi nourrir quatre personnes, ils vont SE perdre eux-mêmes, dans la forêt glacée d’hiver, pour que leurs enfants puissent survivre avec les provisions qui restent.
Malheureusement, ce qui reste ne suffit quand même pas. La petite sœur s’affaiblit de plus en plus. Et un jour, alors qu’elle n’a même plus la force de se tenir assise, un grand chat noir en cape violette apparaît dans la cabane, entouré d’une volute de fumée, et dit, d’une voix d’outre-tombe : « Petite fille, si tu reste ici, tu n’auras pas à manger. Viens avec moi, je t’emmène quelque part où tu n’auras plus jamais faim ». Et il arrache l’enfant aux bras de son frère, qui désespéré, essaye de les poursuivre, mais l’individu disparaît dans la forêt et les volutes de fumée aussi soudainement qu’il est apparu.
Voilà, ça, c’est la scène que j’ai trouvée très claire. Et qu’apparemment, je suis la seule à avoir trouvée très claire, si j’en crois les commentaires de mes amis en sortant du cinéma, et ceux sur senscritique. Je croyais que le cliché du gars en grand manteau qui dit au mourant « viens avec moi, je t’emmène là où tu ne souffriras plus », c’était aussi connu que l’histoire de la lumière au bout du tunnel, ou de l’homme squelette avec sa faux. Apparemment pas.
Bref, moi, à ce stade-là du film, je me suis seulement dit « Ah oui, mettre ça en scène sous forme de métaphore, c’est quand même moins glauque que de la montrer en train de mourir de faim, comme dans Le Tombeau des Lucioles ». Et j’ai pu passer le reste du film sans me demander pourquoi Budori ne cherchait pas à sauver sa petite sœur, ne cherchait à la retrouver que dans ses rêves, ne signalait pas son enlèvement par un individu louche aux autorités. J’ai pu pleinement profiter de l’histoire d’un gamin qui essaye de se reconstruire après avoir vu disparaître ses parents et mourir sa sœur. Et je crois, du coup, que j’ai pu apprécier son parcours mieux que ne l’ont fait ceux qui n’ont pas compris la métaphore et cru que la petite sœur s’était réellement faite enlever.
Oh, bien sûr, je ne dis pas que le récit qui s’ensuit est exempt d’éléments contestables. Déjà, les passages racontant les rêves de Budori sont à mon avis un peu trop long. Et surtout, ces rêves, on ne le voit pas se servir des réflexions qu’ils génèrent, dans sa vie éveillée. Un rêve lui fait comprendre que l’industrialisation à outrance est malsaine, ce qui, on le sait, est vrai. Mais ça ne sert à rien, parce qu’il ne fera rien pour la dénoncer une fois réveillé. Un autre lui montre le monde des morts, où il entraperçoit ses parents, et poursuit l’individu en cape violette, pour lui demander où est sa sœur. Ce rêve prend fin au moment où Budori découvre une affiche montrant que sa sœur est devenue une célèbre artiste dans ce monde des morts, donc qu’elle lui appartient complètement. Il cesse de courir et reste immobile devant cette affiche, résigné et malheureux. C’est un moment que j’ai trouvé très beau. Mais on ne voit pas de différence dans son comportement d’avant ce rêve et son comportement d’après. Le fait qu’il se soit enfin résigné à ne plus revoir sa sœur ne change pas son caractère. C’est juste beau. Comme le rêve sur l’industrie, d’ailleurs.
Les autres détails de l’histoire, je vous les laisse découvrir, si vous ne les connaissez pas déjà et que vous avez lu cet article parce que les spoilers ne vous dérangent pas (à vous de juger, alors, si c’en était un).
Disons simplement que Budori a la chance de tomber sur des gens qui ont besoin de lui, même si c’est pour l’exploiter, et lui donnent l’occasion d’étudier et de trouver un travail qui lui plait, ce qui apaise la douleur d’avoir perdu les siens. Et puis arrive un jour où il a l’occasion de résoudre les problèmes climatiques qui ont décimé sa famille, mais à un prix très élevé… Tout le but du film est d’arriver à ce moment, et ce choix. Pour le coup, la mise en scène autour m’a parue un peu trop rapide, et m’a laissée un peu sur ma faim, mais bon, j’ai pu apprécier quand même. Oh, bien sûr, je tique un peu sur la solution utilisée pour résoudre les problèmes climatiques, mais rappelons-nous que l’histoire a été écrite en 1930, et je ne pense pas que le réchauffement climatique dus aux gaz à effet de serre y était aussi médiatisé qu’aujourd’hui.
Sur le plan visuel, il y a plusieurs niveaux. Les personnages sont dessinés de manière relativement simpliste, les décors sont hyper travaillés, et il y a des incrustations de CGI et même d’images filmées pendant les séquences de rêves. A une époque, les mélanges de ce genre ne me gênaient pas, mais cette fois, ça a été un obstacle à mon immersion. Je dois être plus difficile qu’avant.
Bref, j’ai vraiment beaucoup aimé Budori, mais je l’ai vraiment beaucoup aimé parce que j’ai compris dès le début ce qui aurait apparemment du être le twist final. Donc, je ne sais pas si j’ai aimé pour les bonnes raisons. A vous de juger.
tchoucky
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le 2 sept. 2014

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