Comme l’indique la page Wikipédia qui lui est consacrée, Robert Altman fait partie des rares cinéastes (avec Clouzot et Antonioni) à avoir obtenu le prix suprême des trois grands festivals de cinéma européens : Palme d’or pour M.A.S.H., Lion d’or pour Short Cuts et Ours d’or pour ce Buffalo Bill et les Indiens, qui le mérite amplement par son ambition, son originalité et sa complexité.
Alors que, depuis quelques temps, on ne cesse de parler du « roman national », il est plus qu’intéressant de regarder ce film qui s’amuse à montrer à quel point ce type de récit historique est falsifié et à quel point il est nécessaire de le « déconstruire ». Mais Altman le fait non en historien, mais en artiste.
Loin d’être le héros de la conquête de l’Ouest décrit dans les livres d’histoire, Buffalo Bill est ici un minable fini, un alcoolique paumé au milieu de nulle part, qui doit tout à ce que l’on construit autour de lui, et non pas à ses actes en eux-mêmes.
Fidèle à ses méthodes et ses thématiques, Altman poursuit, dans la droite lignée de M.A.S.H. et Nashville, sa description sarcastique de l’Amérique et de ses mythes. Un sarcasme qui, à aucun moment, ne se suffit à lui-même : le but d’Altman n’est pas seulement de se moquer. D’ailleurs, aussi ridicules soient-ils, ses personnages ne se contentent pas de faire rire d’eux-mêmes mais deviennent souvent pathétique. Il faut absolument voir ce dernier quart d’heure, avec un William Cody désespérément seul, véritable personnage shakespearien hanté par le fantôme de Sitting Bull.
Car, bien entendu, comme l’indique le titre, les Indiens tiennent un rôle essentiel dans le film. Sitting Bull est ici l’exact opposé de Buffalo Bill : personnage discret, intelligent, sensible, assumant courageusement son rôle de dirigeant d’un peuple déchu de ses droits. Sitting Bull est sans doute le seul personnage héroïque de ce film.
Comme dans Nashville, il y a ici un aspect « spectacle dans le spectacle » parfaitement assumé : l’Amérique d’Altman est un pays en constante représentation, se montrant elle-même, criant ses convictions et dessinant sa légende, même si celle-ci est éloignée de la réalité. Le rôle que s’attribue Altman, c’est de mettre à jour les coulisses de ces spectacles.
En cela, un personnage, énigmatique et passionnant, apparaît au début et à la fin de Buffalo Bill, un personnage interprété par l’immense Burt Lancaster et qui se félicite d’avoir créé Buffalo Bill. Car le grand drame de Buffalo Bill, c’est qu’en réalité il n’existe que sur la piste de son spectacle. Une fois le spectacle fini, il n’est plus rien. Le personnage ne cesse, tout au long du film, d’être déçu, rejeté, de voir son autorité reniée, etc.
Dans ce rôle de héros d’opérette (au sens quasiment littéral du terme), Paul Newman livre un de ses plus belles prestations, jouant avec une finesse extraordinaire. Le reste du casting est remarquable également, notamment les habitués des films d’Altman (comme Géraldine Chaplin ou Shelley Duvall).
Altman livre ici un film finalement ambitieux dans sa volonté de représenter l’Amérique telle qu’on la voit dans les années 70, une Amérique raciste, ayant dénué ses premiers habitants de tous leurs droits, les ayant chassés de leurs terres, une Amérique qui se plaît à être blanche, pionnière et héroïque là où, en réalité, elle n’est que raciste, violente et autrice d’un génocide.