A l’inverse de Nope qui concentrait sur cet été grand nombre d’attentes, Bullet Train a cette chance de ne pas faire preuve de prétention. Hormis le fait qu’il permette le retour du très rare Brad Pitt, capitalisant sur sa coolitude par une infusion lente des rôles dans l’imaginaire fantasmatique du public depuis son incarnation mémorable de Cliff Booth pour Tarantino, ce blockbuster de l’été n’a rien de bien sémillant à promettre : un train à grande vitesse, un récit à pièces multiples, de la baston et des vannes.
Très facile, donc, de rejoindre le lisier coutumier, à une exception près, et de taille : le fait que nous soyons ici face à un récit déconnecté de toute franchise, ce qui apaisera tous les grincheux, qu’il s’agisse de ceux qui les haïssent et continuent à les voir pour les détruire, ou leur evil twins qui les chérissent et réclament un produit formaté selon des désirs préétablis.
Il n’échappera à personne l’absence assez flagrante de patte personnelle dans le cinéma de David Leitch, ancienne doublure cascade de Brad Pitt s’étant illustrée dans le premier volet de John Wick avant de décliner son sens de la baston sur Atomic Blonde ou Dead Pool 2. Le bonhomme est là pour l’action, et cherche à contenter son public dans un cinéma survitaminé tout droit hérité de Guy Ritchie, tout en singeant avec l’espoir de lui arriver à la cheville les pastiches virtuoses de Tarantino. Le résultat n’est pas indigne, mais reste toujours clairement à la poursuite de ses modèles : récits à tiroirs, iconicité tapageuse des personnages dont les noms s’affichent à l’écran, flash-backs incessants et musique clipesque. L’ensemble est le plus souvent surdosé : un certain nombre de twists sont clairement dispensables, le personnage féminin fonctionne assez mal dans son pseudo cynisme blasé, et le crescendo vers une action de plus en plus grandiose s’effondre dans une CGI presque aussi laide que chez Marvel (oui oui, le tacle est gratuit au mois d’août).
Il n’empêche que le film parvient tout de même à rester au niveau de ses ambitions : sa durée raisonnable est bien gérée, le rythme fonctionne et la plupart des personnages jouent plutôt bien de leur charme. Pitt évolue avec nonchalance, le duo des frères jumeaux arrive presque à émouvoir et la diversité des bastons exploite avec minutie (comme le fait avec maestria la saga John Wick) tout le potentiel de l’espace clos du train sans oublier de souligner la spécificité locale nippone, des compartiments aux toilettes en passant par les snacks, les tablettes ou les arrêts chronométrés en gare.
Le plaisir reste donc à l’ordre du jour pour un film qui sait rester modeste en resserrant son intrigue autour des fondamentaux (une valise, des règlements de compte) pour s’amuser avec les variations. C’est le principe même de la comédie que d’injecter une dose de dérision pour éviter les pesanteurs, même si cette méthode révèle parfois ses limites, au diapason de la tendance lourde du méta si poussif en vigueur depuis une bonne décennie. Car ce n’est pas en faisant les petits malins à qui on ne la fait pas qu’on parvient à réellement déclencher le rire : c’est en ayant tout simplement le don de Brad Pitt pour s’amuser en même temps que son public. Ou celui de Sandra Bullock, qui, momifiée comme jamais par les ravages de la chirurgie esthétique, ose demander à son partenaire « What happened to your face ? ».
(6.5/10)