Hormis la promesse du retour du grand Brad Pitt dans un registre comique où il a toujours excellé, il y avait peu de choses attrayantes dans ce Bullet Train, quasi unique blockbuster hollywoodien en un été trop chaud pour végéter dans les salles obscures mal climatisées. On y est allé sur la foi d’une bande annonce séduisante – mais les bandes annonces sont tellement mensongères ! -, et on en est ressorti, deux heures plus tard, relativement ravi. Le terme « relativement » se rapporte, sans que cela ne surprenne personne, à l’invraisemblance pesante de la totalité des situations, à des scénaristes qui pensent que faire compliqué, c’est paraître intelligents, et, inévitablement à Hollywood, à une surenchère finale de violence et de destruction qui ne fait que dévaloriser ce que Bullet Train avait construit avec succès jusqu’alors.
La filmographie de David Leitch, ex-cascadeur (et il a droit à notre absolu respect pour ça...), producteur et réalisateur (ou co-réalisateur) de films des franchises Fast & Furious, Deadpool et John Wick, ne fait particulièrement envie, mais prouve quand même que le type connaît son boulot : divertir le bon peuple avec de l’action spectaculaire plutôt drôle, dans un climat bon enfant qu’on a du mal à lui reprocher. Pour ce Bullet Train, Leitch – aidé de son scénariste Zak Olkewicz, un novice dans la métier - a essayé de viser plus haut, et il a copié sans vergogne toute une école anglaise du film violent mais hilarant, de Guy Ritchie (Snatch, si l’on veut citer le meilleur) à Edgar Wright (dont la réjouissante mais inégale Trilogie Cornetto reste malgré un tout un modèle dans le mélange des genres) : on peut imaginer que ce n’est pas pour rien qu’il place au centre du film une paire de tueurs à gages so british, Lemon et Tangerine, qui vont plus que contribuer à l’intérêt du film, puisqu’ils vont en être le « cœur » et « l’âme ».
Mais Leitch a voulu encore faire monter les enchères, et, son film étant tiré d’un livre d’un romancier japonais, Kôtarô Isaka, et se passant au Japon, il a visiblement décidé que Tarantino et son inoubliable Kill Bill seraient son phare dans la nuit ! Ce qui n’est sans doute pas la meilleure idée du monde, tant le fait de citer un tel maître et d’utiliser les mêmes artifices narratifs ou visuels ne fait guère de mettre en lumière l’écart vertigineux qui existe entre un bon artisan comme Leitch et un auteur révolutionnaire comme Tarantino…
… Mais peu importe, car, finalement, ce sont surtout les personnages – intéressants, drôles, originaux et les acteurs – tout le casting abat un travail formidable – qui font le bonheur du spectateur. Pitt surprend moins que dans de précédentes apparitions comiques, mais fait le job, en tueur à gages reconverti dans le zen et le pacifisme, qui a plutôt tendance à irriter ses interlocuteurs qu’autre chose, et qui lutte contre la malchance lui collant aux basques. Joe King est formidable en post-ado tout de rose vêtue mais cachant une noirceur d’âme sans fond. Hiroyuki Sanada, en vétéran des allers-retours entre le Japon et Hollywood, rajoute une classe folle dans la dernière partie du film (oui, celle qui en a vraiment besoin), Michael Shannon est une incarnation crédible, comme toujours, de « la Mort Blanche », même si on aurait aimé le voir plus… Mais ce sont Aaron Taylor-Johnson et surtout l’impayable – et touchant – Brian Tyree Henry qui enchantent chaque scène où ils apparaissent… et il y en a beaucoup, rassurez-vous !
Ce que Leitch a finalement compris, et que semble avoir oublié Hollywood – comme les plateformes qui lui font concurrence –, c’est que pour qu’un film, quel que soit son genre, nous emporte, il faut que nous ayons devant les yeux des êtres humains. Qui nous touchent, qui nous ressemblent, qui nous donnent envie de les aimer (voire de les haïr). Même si les digressions tarantinesques sur Thomas The Tank Engine ou sur les fruits peuvent paraître a priori un simple copié-collé de procédés désormais bien connus, la manière dont les acteurs se les approprient et leur donnent un véritable sens est absolument remarquable.
Et fait de Bullet Train le meilleur blockbuster de l’été 2022. Même s’il est le seul.
[Critique écrite en 2022]
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