Rares sont les acteurs capables de livrer des performances aussi charismatiques. Matthias Schoenaerts fait partie de cette engeance. Avec un charisme d'une bestialité électrisante, l'acteur parvient à donner une intensité à son personnage d'agriculteur rustre, enfermé dans sa carapace de muscles qui l'écarte d'emblée de la norme. Isolé et solitaire, le héros rumine, fulmine comme un taureau enragé, sue comme une bête. Chaque relief de son corps frémit comme la lourde musculature de ses bovins. Entreprise de zoomorphisme parachevée par un sens aigu de la mise en scène, totalement réinvestie au service de la problématique animale et hormonale qui structure le film, viscéralement.
Ajoutons à cela un drame humain d'où découlent tous les noeuds de l'histoire : une amitié brisée par une atrocité indicible, un héros à la virilité exacerbée et à la violence décuplée, un désir de vengeance, un amour ambigu...
Le trafic d'hormones est à mon sens un élément relativement secondaire de l'intrigue, qui est tout de même plus particulièrement centrée sur la mise en place d'un paradoxe entre la monstration d'un univers masculin totalement testostéroné et la tragédie d'un homme privé de sa virilité. Ce parallèle, très fort, tend à nuancer le récit, parfois très rustre.
La sensibilité des protagonistes ne se donne pas à voir d'elle-même, il faut la deviner, comme celle des bovins qui se bousculent dans leurs sordides enclos. Ceci étant, on peut y voir un héros anéanti à l'idée de ne jamais devenir père, de ne jamais pourvoir s'accomplir en tant qu'homme, et l'on en vient à se demander si son ami ne s'est pas lui aussi construit en fonction du drame qui est arrivé à son copain d'enfance : devenu homosexuel, le personnage, comme par empathie avec son camarade d'antan, s'est inconsciemment privé de la possibilité de procréer, faisant à son tour une croix sur l'espoir de construire une famille. Condamnés chacun au malheur de façon singulière, les deux personnages, que tout lie et que tout sépare à la fois, entretiennent un rapport plus complexe qu'il n'y paraît : l'un trouve dans la violence un exutoire tandis que l'autre est devenu indic après que son père se soit conduit comme un lâche en refusant de livrer ses partenaires à la police.
Malgré l'atmosphère âpre et crue qui domine le film, "Bullhead" parvient à faire rire en livrant une caricature des wallons, représentés comme des abrutis à l'accent fortement marqué, et certaines scènes, comme celle du nigtclub, sont baignées d'une lumière fulgurante, ce qui contribue à instaurer quelques moments de grâce pure.
Entre poésie sous-jacente et brutalité trash des images, le film parvient à nous transporter dans un univers glauque et "bourrin" d'où émane pourtant la beauté à chaque plan.