Le secret d'estampes pliées
Balayons tout de suite d'un revers de mots le sujet qui fâche: oui, le réalisateur s'appelle Guy Moshe. DEAL WITH IT !
Pour le reste, décrire "Bunraku" n'est pas chose aisée. Essayons tout de même de vous le présenter, visuellement tout du moins. Pour faire simple, imaginez une sorte de "Sin City" qui aurait été revu et corrigé par Suda51. Fourmillant de références diverses et variées, aussi bien vidéoludiques que cinématographiques, l'oeuvre marque d'emblée par son identité visuelle forte, savant mélange de film d'arts martiaux, de film noir, de pièce de théâtre, de western, de vigilante, de jeu vidéo (qui a dit "No More Heroes" ?) et tout un tas d'autres choses. Enfin, "savant mélange"...disons qu'il faut être disposé à subir nombre d'excès: de couleurs, d'effets de manches, de superposition de décors en papier, de surjeu et d'un côté poseur constant.
En dépit d'un budget somme toute raisonnable (35 millions de dollars, une broutille), Guy (par respect, et parce que je ne le connais pas encore assez bien, je ne le désignerai que par son prénom) parvient à doter son film d'une âme résolument unique. S'il est question de "bunraku" dans le titre, la vérité est légèrement différente, le film s'inspirant également du "kamishibai", forme ancestrale de théâtre utilisant le papier. Guy multiplie les clins d'oeil, comme en témoigne cet incroyable plan-séquence de côté, qui rappellera indubitablement "Old Boy", que l'on aurait mélangé, mettons, au jeu Exit. L'histoire quant à elle, n'apportera pas vraiment de surprises. Tout au plus, une succession de révélations qui n’en sont pas vraiment, et de phases de suspense, devant lesquelles on ne retient pas franchement son souffle. On enchaîne plus les scènes pour découvrir la prochaine excentricité du réalisateur que parce qu'on se soucie réellement du sort des protagonistes, ou que les combats sont exceptionnels (ils restent d'assez bonne tenue cependant). Une originalité est à souligner toutefois: on ne voit pas tous les jours un cowboy sans revolver et un samouraï sans katana ! Mais je n'en dirai pas plus.
Je n'attendais strictement rien de ce film, je voulais juste me détendre devant un "no-brainer", et j'ai bloqué en voyant "film d'arts martiaux" à côté de noms comme Josh Hartnett, Ron Perlman, Demi Moore, Woody Harrelson, et même un artiste de renom en la personne de Gackt (cette fois pour du "visual Guy") avant de me dire qu'il fallait absolument que je le voie. Aussi improbable que cela puisse paraître, "Bunraku" m'aura agréablement surpris, par son audace et sa cohérence à la fois visuelle, artistique et sonore. Question acteurs, une mention spéciale à Kevin McKidd en Numéro 2 qui prend au pied de la lettre le côté théâtral de la chose, il demeure en roue libre tout du long, et m'a régalé une fois encore. Je suis fan de Rome aussi, ceci explique sans doute pas mal de choses. Même Josh Hartnett est charismatique ! Dans n'importe quel autre film, la phrase précédente serait considérée comme un oxymore, ni plus ni moins. Mais ici, il est sobre, peu loquace (ça lui va très bien d'ailleurs) et son accoutrement vintage film noir est de toute beauté ! Il faut dire que les looks sont réussis pour la plupart (sauf Ron Perlman, vous découvrirez pourquoi si vous vous décidez à voir le délire visuel de Guy).
Je suis conscient que "Bunraku" ne vaut sans doute pas un 8. Je suis conscient que si j'arrive à donner envie à certains de voir le film, une bonne partie de ces personnes risque d'être déçue, tant le spectacle est avant tout un exercice de style, le réalisateur déployant une direction artistique radicale et un univers en carton. Ne cherchez rien de rationnel, il s'agit tout simplement d'un coup de coeur. Et un encouragement aussi, car Guytou (allez je le connais assez bien maintenant) aura eu le mérite de proposer quelque chose de différent.
On pourra se moquer de Guy pour son nom quelque peu ingrat. Pour ma part, je me contenterai d'un "Thank you very Moshe" !