Cinéaste français méconnu Yann Gozlan compte pourtant parmi les rares artisans actuels pouvant se targuer de proposer un cinéma à la fois scénaristiquement traditionnel et techniquement ambitieux, volontairement fabriqué mais proprement efficace d'un point de vue émotionnel. Après un film de genre plein de promesses tenues en 2010 ( le classique et percutant Captifs, survival gore lorgnant du côté du torture-porn ) et un thriller dramatique particulièrement réussi en 2015 ( Un homme idéal, polar lumineux en forme de roman de triche évoquant le classique Plein Soleil de René Clément ) Gozlan tourne en 2017 l'oppressant Burn Out, nouveau suspense tenant lieu cette fois-ci dans un décor essentiellement suburbain.
Burn Out narre la trajectoire de Tony, jeune et brave pilote de moto insidieusement plongé dans une affaire de chantage et de règlement de comptes allant crescendo de séquence en séquence. En reprenant l'esprit de l'aliénante mécanique de l'ombre qu'il a scénarisé pour Thomas Kruithof ( drame aux résonances kafkaïennes de facture pratiquement implacable ) Yann Gozlan s'empare du sujet sociologique évoqué dans l'intitulé de son troisième long métrage pour fabriquer une fiction volontairement bigger than life. En accentuant les situations vécues par Tony ( François Civil livre une prestation plus qu'honorable ) le réalisateur démontre les dangers de la mise sous pression de son héros par ses commanditaires et - par extension - de toute une société insatiable en termes de productivité et de rendement, en demandant toujours plus à ses employés, travailleurs et autres prolétaires.
Car si le film ne parle pas directement du monde du travail ( et encore moins du monde de l'entreprise, univers facilitant les ruptures psychologiques et les formes de perversion potentielle et/ou de harcèlement inhérentes au titre ) il témoigne de tout un climat et de toute une époque terrorisée par la violence, aspirant de plus en plus à un idéal de performance. Ainsi Tony-Civil enchaîne les activités ( cariste le matin, pilote l'après-midi, livreur interlope la nuit...) en se frottant aux attentes plus ou moins démesurées des différents milieux ( allant d'un simple souci de ponctualité à des trafics mettant sa vie en danger, l'acculant à déployer des moyens parfois presque surhumains ). Par ailleurs ce besoin de dépassement de soi et d'infatigabilité passe par la consommation de produits altérant l'humeur : Tony ingurgite les pilules comme les junkies de Requiem for a Dream, à la différence qu'il ne cherche aucunement à s'évader mais bel et bien à "tenir le coup" ; Samuel Jouy alias Jordan consomme de la Red Bull, éventuelle boisson du nouveau capitalisme...
Yann Gozlan signe là un pur film à suspense, digérant ses références avec intelligence ( l'Œuvre de Martin Scorsese, notamment Taxi Driver, vient à l'esprit à plusieurs reprises ) ; il en profite d'autre part pour brosser l'atmosphère délétère des banlieues au détour d'un journal télévisé visiblement recomposé pour ladite fiction, tout en suggérant les questions de terrorisme et de blanchiment d'argent préoccupant nos dernières années… Un film brillant, jouant aussi bien sur la corde du divertissement que sur celle du bon sens. A voir !