Attention, cette critique contient des spoilers.


Burning, le dernier film de Lee Chang-dong, nous entraîne dans une intrigue difficile à cerner. Les quelques synopsis que j’avais pu lire me l’avaient vendu comme un thriller, voire quelque chose de plus, ou quelque chose de moins. C’est donc sans attente précise que je suis entrée dans la salle de cinéma. Et sans certitudes que j’en suis ressortie. Ainsi que la tête remplie de questions.


Absence de certitude, tout d’abord, quant à l’objet même du film. La première moitié du film n’est-elle que lente mise en place d’une intrigue qui prend son envol dans la seconde moitié, ou est-elle au contraire le véritable cœur de l’histoire, la seconde partie n’étant que l’issue inéluctable des relations tissées jusque là ? C’est certainement là que se situe une partie du « malaise » créé par Burning : à quoi a-t-on finalement affaire ? Un véritable thriller, une peinture d’une certaine jeunesse coréenne, un triangle amoureux à l’issue dramatique ? Il semble d’autant plus difficile d’arrêter une opinion que le film se jette dans de nombreuses directions, et paraît parfois tâtonner. Le père de Jong-soo, sa mère qui les a quittés l’un et l’autre il y a 16 ans, le voyage en Afrique, l’enfance de Hae-mi : autant de pistes sans conclusion.


L’enquête menée par Jong-soo diffère de celle d’un thriller classique en ce qu’elle est une recherche silencieuse. Nulle réelle confrontation, nulle verbalisation de l’accusation, même quand vient pour lui le moment d’exécuter le jugement qu’il a peu à peu formé à l’égard de Ben. Seuls les actes du taciturne jeune homme parlent pour lui, son unique accusation étant le reproche fait à Hae-mi de se mettre trop facilement nue devant les hommes, « ce que font les putains », et ce qui se rapproche le plus d’une confrontation étant l’aveu à Ben de l’amour qu’il porte à Hae-mi. Jong-soo dit qu’il cherche Hae-mi ; en réalité il cherche un coupable. Toutefois jamais la vengeance, un motif récurent du thriller coréen, n’est évoquée. Et vu qu’aucune accusation n’est formulée, il ne peut y avoir de défense du meurtrier désigné. Les motivations de Ben ne sont pas questionnées, liberté est laissée au spectateur de les chercher. Pas trace non plus du corps de la jeune femme, qui n’a jamais été l’objet de l’enquête de Jong-soo qui scrutait la campagne à la recherche d’une serre. La conséquence de ce mutisme est que le spectateur doit s’en remettre à lui-même pour aboutir à la solution qui ne lui sera à aucun moment directement révélée. Il faut pour cela que les ressorts scénaristiques et la mise en scène soient à la hauteur. Ce qu’ils sont, puisqu’on en vient au même degré de compréhension que le protagoniste assez facilement.


De nombreuses questions subsistent toutefois au royaume de la métaphore, apportant au spectateur (et moi la première) autant d’incertitudes. Les serres abandonnées que brûle Ben tous les deux mois sont-elles réellement métaphores, désignant les meurtres de jeunes femmes seules et perdues, donnant sens ainsi à la vacuité de la vie d’un jeune riche de Gangnam qui, rappelons-le, a pour travail de « s’amuser » ? Les recherches par Jong-soo d’une serre incendiée qui n’existe pas font plus que tendre vers cette conclusion. De même que les autres indices disséminés au cours du film. Mais le nouveau chat de Ben est-il bien celui de Hae-mi ? Cette dernière a-t-elle en fait jamais eu un chat, puisque son ami ne l’a jamais ne serait-ce qu’aperçu au cours des semaines passées à le nourrir ? Le tiroir aux « trophées » macabres de Ben est-il vraiment ce qu’il paraît être, et la montre appartenait-elle bien à Hae-mi ? Lorsque l’on voit sa cheffe porter une montre identique, il est permis d’en douter. Pourquoi lors de sa visite chez Jong-soo Ben affirme-t-il être venu en repérage, si sa « serre » n’est autre que Hae-mi, qu’il n’était pas nécessaire d’emmener à Paju pour cela ? De plus, si vraiment Ben est un méticuleux tueur en série, se laisser suivre sans broncher par Jong-soo paraît peu avisé. Force est de constater qu’on ne peut être sûr de rien : ni de l’existence d’un serial killer, ni de celle d’une victime, quand bien même c’est la réponse la plus plausible et vers laquelle on tend le plus aisément.


On passe du temps à se demander ce qui relève de l’affabulation et ce qui relève de la métaphore. Le puits dans lequel Hae-mi prétend être tombée dans son enfance, et dont Jong-soo l’aurait sauvée existe-t-il, ou n’est-il qu’une autre métaphore ? Mais surtout, son existence a-t-elle une importance, quand on sait que le truc « n’est pas de croire qu’il existe, mais d’oublier qu’il n’existe pas » ? Tant d’ambigüité que durant une partie du film j’en suis arrivée à me demander si Hae-mi elle-même existait réellement…


Quoi qu’il en soit, Burning est sans conteste une réussite d’un point de vue visuel, qui trouve son apogée (et celle du personnage de Hae-mi, admirablement interprété par Jeon Jong-seo) dans la magnifique scène de la danse crépusculaire. Lee Chang-dong a su aussi instaurer une atmosphère particulière, quoiqu’elle fasse ressentir quelques longueurs à certains moments du film.


Comme le film se ferme sur un Jong-soo nu et congelé après son crime, littéralement freezing, la voiture de Ben est en somme tout ce que l’on verra brûler. La seule certitude que j’aie pu me faire est que Burning est un film quelque peu étrange qui vaut la peine d’être vu.

Svanhildr
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le 7 sept. 2018

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