Lee Chang-dong, dont on attendait le nouveau film depuis longtemps, n’est pas très productif, mais la qualité de ses films est toujours au rendez-vous. Alors que quelqu’un comme Terrence Malick aurait peut-être dû garder un rythme similaire au lieu d’enchaîner les productions, le grand Lee prend son temps, et ce n’est pas pour nous déplaire.
Avec Burning, l’ancien ministre de la culture coréen continue à s’aventurer dans les méandres de la société coréenne moderne. En suivant trois jeunes protagonistes, c’est une représentation glaçante qu’il en dresse, chacun étant perdu à sa manière. Alors que pour la jeune femme, la tristesse et l’absence de repères sont très visibles par moments – quand elle n’arrive plus à cacher ce qu’elle ressent et fond en larmes – les deux hommes souffrent de manière un peu moins évidente, mais tout aussi forte. Jong-sun est discret, pour ne pas dire apathique, et subit la vie pendant presque toute la durée du film, sauf à la fin où il décide enfin de prendre une décision, si brutale soit-elle. Ben, quant à lui, sous des apparences calmes et affables, est rongé par un mal qu’il ne peut apaiser qu’en assassinant des femmes qu’il méprise et dont il s’ennuie après quelques semaines. Ses amis arrogants ne suffisent évidemment pas à trouver un quelconque sens à sa vie, lui qui est déjà riche et ne sait apparemment pas quoi faire de son temps.
Le génie de ce film réside en ce triple portrait de personnes « normales » qui n’arrivent pas à trouver leur place dans un monde où les gens travaillant dans des usines sont traités comme des nombres, où voyager dans des pays exotiques ne suffit pas pour trouver un sens à la vie et où être plein aux as ne permet (évidemment) pas d’être heureux. Tous les personnages sont à la dérive, même les secondaires – le père de Jong-sun n’essaie même pas de se battre pour sa liberté, tandis que sa mère le contacte pour la première fois après 16 ans mais reste scotchée à son portable. Et quand Jong-sun rend visite à la famille de Hae-min, au lieu de prendre de ses nouvelles, la mère de la jeune femme lui rappelle sèchement qu’elle doit s’occuper de ses dettes avant tout.
C’est donc dans un monde froid que vivent tous ces gens, à la recherche d’un peu de chaleur, d’une manière ou d’une autre. Ben décrit lui-même le sentiment qu’il ressent quand il « met le feu à une serre », moment pendant lequel il se sent réellement vivant, mais de manière éphémère. Jong-sun s’énamoure de Hae-min qui lui fait ressentir des choses, mais elle ne semble pas être sur la même longueur d’ondes, elle qui est allée sur le chaud continent africain pour se ressourcer mais semble toujours à la recherche d’un sens à donner à cette vie.
Le titre de ce film prend alors tout son sens pendant la scène finale, où le protagoniste principal sort de son apathie et tue Ben à multiples coups de couteaux avant de le brûler avec sa voiture. Alors que Jong-sun l’entaille, Ben ne résiste d’ailleurs qu’à moitié avant de carrément encourager Jong-sun à continuer en mettant ses bras autour de son meurtrier, comme s’il était heureux que ce dernier mette fin à son supplice. Malheureusement pour Jong-sun, qui se déshabille pour ne laisser aucune trace, c’est bien le froid qui l’attend, encore et toujours, et bien qu’il semble enfin prêt à écrire ce fameux roman qu’il est censé préparer, cela ne sera peut-être pas suffisant pour combattre ce froid mordant, qui semble éteindre tous les feux sur son passage.
Ce film hautement métaphorique et symbolique montre que Lee Chang-dong reste un des cinéastes les plus intéressants de ce siècle, lui qui dès la fin du XXe a montré tout son talent avec un premier film de haute facture et à la fin similaire. Sa prochaine œuvre ne sortira pas avant plusieurs années, sans aucun doute, mais l’attente en vaudra la peine.