Burning, à la frontière floue entre ce qui est et ce qui n’est pas

Quelques spoilers, attention !


Après le sublime Poetry sorti en 2010, Lee Chang-dong nous régale d’un nouveau film énigmatique et confrontant, adaptation de la nouvelle Les Granges brûlées de Haruki Murakami (1983). Il se passe en Corée du Sud, entre Paju, à quelques kilomètres de la frontière nord-coréenne, et Séoul. C'est l'histoire classique d'une rencontre, entre un jeune homme timide et gauche, Jongsu, et une jeune femme extravertie et avenante, Haemi. L’arrivée de Ben, sorte de Gatsby coréen, vient bouleverser leur histoire.


Trois personnages qui semblent dans l’impasse dès le début du film.
Un rythme qui laisse place au mystère.
Un cri de contestation en filigrane.


Burning joue sur plusieurs plans.
Le plan social, d'abord. Jongsu, Haemi et Ben incarnent chacun une pièce du puzzle social coréen, Jongsu et Haemi du côté des classes populaires et endettées, Ben en riche dandy oisif.


Le plan du sens que l'on donne à la vie, ensuite. Haemi part en voyage initiatique en Afrique et narre sa rencontre avec les Bushmen. Ils invoquent en dansant "la petite faim", assimilée à la survie, et "la grande faim", celle qui donne un sens à la vie. Haemi, elle, dévore la vie. Elle danse, invente des histoires, se dénude devant Ben et Jongsu. Elle est mélancolique aussi, en quête de poésie et de sens, se réjouit d’un rayon de soleil sur le placard.


Ben, le dandy, représente la jouissance sous une autre forme, le plaisir à tout prix, au point de nous inquiéter sur sa moralité et son empathie. À l’opposé de l'innocence et de la sincérité de Haemi, il séduit les femmes et, pyromane, brûle des serres pour son seul plaisir…


Le personnage principal, Jongsu, taciturne et rêveur, passe plus de temps à penser à Haemi que de moments avec elle. On ne sait plus ce qui tient de ses fantasmes ou de la réalité, dans un jeu entre l’œil de l’acteur et celui de la caméra.


Il semble être le seul personnage à avoir les pieds sur terre, jusqu’à l’étonnante scène de retournement final.


Et de fait, Burning se joue à la frontière floue entre ce qui est et ce qui n’est pas, dans un questionnement presque quantique.


Jongsu donne une clé de compréhension du film, à mon sens, lorsqu’il répond à Ben qui l'interroge sur le fait qu’il ne sache pas encore quoi écrire : La vie est mystérieuse. La caméra serait alors l’œil de Jongsu, hésitant, qui peine à comprendre les mystères qui l’entourent.


À l’image de la scène magnifique dans laquelle Haemi fait une pantomime (elle mime qu'elle mange une mandarine), Burning ouvre des possibles.


Haemi explique que si l’on y croit vraiment, si l’on prend du plaisir à manger cette mandarine, alors elle sera bien réelle. La jeune femme nous rend, à partir de cette scène, complices de l’image, car le film ne peut se dérouler que si nous acceptons et croyons ce qui s’y passe.


Chaque piste semble aussi envisageable que son contraire. Jongsu nourrit-il un chat imaginaire comme semble le confirmer la concierge de l’immeuble ou y a-t-il bel et bien un chat dans l’appartement (puisque les croquettes disparaissent) ? Le puits où Haemi affirme être tombée enfant existe-t-il vraiment ou est-ce une pure invention de la jeune femme, comme le pense sa mère ? Entre ce que veut bien nous montrer la caméra, ce que les personnages pensent ou disent, on se demande bien où nous conduit l’intrigue.


Même la scène finale peut être entendue à mon sens comme le début (fictif) du livre ou la fin (réelle) du film. À un autre niveau, Burning conteste l’injustice sociale, ce que semble confirmer la scène finale, où Jongsu se venge, non seulement de Haemi, mais aussi des abus de pouvoir et des inégalités.


Autre clef de compréhension, le père de Jongsu, condamné à un an et demi de prison pour coups et blessures, qui vient contrebalancer les actes impunis de Ben (dégâts dont on ne connaît d'ailleurs pas l’étendue).


En conclusion, un beau film sur le sens que les jeunes Coréens donnent à la vie et le mystère quantique et une critique sous-jacente des inégalités sociales. Je regrette seulement l'absence de prise de conscience ou de changement de comportement des personnages. Ils sont pris dans un étau dès les premières scènes et l'engrenage se resserre sans qu'aucun d'entre eux ne semble tenter de modifier le cours des choses.

odreva
7
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le 6 oct. 2018

Critique lue 256 fois

odreva

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