Lors d’une livraison, Jongsu, un jeune coursier, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant un voyage en Afrique. A son retour, Haemi lui présente Ben, un homme mystérieux qu’elle a rencontré là-bas. Un jour, Ben révèle à Jongsu un bien étrange passe-temps.
Les apparences sont (toujours) trompeuses. Lee Chang-dong revient après huit ans d’absence avec ce météore présenté en compétition officielle au dernier festival de Cannes. Et le fait qu’il en reparte bredouille s’est révélé le grand scandale de cette édition. En y repensant bien, des mois après l’avoir découvert sur la Croisette, il avait bel et bien tous les atouts en sa possession pour glaner la Palme d’or: l’intelligence de l’écriture, la force de son propos, la puissance de la mise en scène, la flamboyance de l’interprétation. A moins d’être aveugle, tout est quand même assez indiscutable dans Burning. Un sixième film que le cinéaste coréen, fort de ces 20 années de carrière, (si, si, déjà), a trempé dans le doux chaos mystérieux des choses de la vie qui échappent. Soit une œuvre minimaliste, élégamment dense, travaillée par le désir sexuel et le conflit des classes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Burning brûle.
Si le film débute comme une déclinaison du triangle romantico-amoureux Truffaldien entre le bel artiste Lee Jong-su, la belle rêveuse Shin Hae-mi et le beau friqué Ben, la disparition de la femme désirée change la donne, laisse les deux hommes avec un fantôme et le film de se noircir, de révéler l’abyssale complexité des êtres humains – derrière les apparences, tout fait sens à l’aune de cette phrase que Lee sort aux amis riches de Ben: Le «Le monde est pour moi un mystère». Une manière de dire qu’il est en quête de lumière dans ce paysage sombre, celle qu’il aperçoit par la fenêtre depuis son lit avant le grand sommeil. Une ligne de fuite, une libération, un idéal dans une Corée étouffée par la menace, le chômage et la disparition. Des paysages de Séoul aux champs agricole de Paju, dans le quartier de Manu-ri, Burning joue aussi bien sur le réel social (entre richesse et pauvreté, ville et campagne) que dans l’imaginaire (ah, cette séquence où le personnage court face caméra dans la brume hivernale sur une route déserte – tout droit sorti d’un rêve qui ne s’arrête jamais -, ou bien encore cette séquence onirique d’un enfant contemplant une serre sous les flammes). Et réussit sur ces deux tableaux.
Bien sûr, on sourit en repensant à Lee Chang-Dong assénant que la nouvelle de Haruki Murakami dont son Burning est l’adaptation l’avait séduit parce qu’«il ne se passe rien». Rien ne se passe en apparence, tout est torturé en dedans. LCD joue avec nos nerfs de la plus délicate des façons, la plus sophistiquée des tortures (celle de ne pas tout savoir). Burning est comme une bûche qui se consume lentement dans une cheminée, un soir d’hiver. Puis le feu s’éteint pour de bon. Voilà un film qui ravive le délicieux goût du secret, de l’étrange, à la lisière du fantastique. Et Dieu que le noir est lumineux quand il est aussi bien filmé. Regardez Burning, ce long cauchemar flamboyant qui crépite. Que vous n’oublierez pas.