Disparu en 2022, Peter Bogdanovich savait-il que The Great Buster serait son dernier film ? Car c'est une façon formidable de boucler la boucle pour ce grand cinéphile devant l'éternel, pour qui le passé n'est jamais un défaut. Ici, il rend hommage à la carrière de Buster Keaton, grande star du film muet, avec des chefs d’œuvres comme Le mécano de la générale, Les lois de l'hospitalité ou encore Les fiancées en folie.
Fils de comédiens itinérants, il a débuté sa carrière à l'âge de ...11 mois, et l'arrivée du cinéma lui a permis d'exploiter ses talents de comédien et cascadeur avec des courts-métrages reconnus, qui vont lui donner accès au succès et à la réalisation de longs-métrages. Seulement dans les années 1930, à l'arrivée du parlant, il va être happé par la MGM contre la promesse d'un salaire mirobolant et d'un contrôle artistique absolu. Ce qui ne sera pas le cas, car peu à peu, le studio va vouloir prendre le contrôle sur Buster Keaton, y compris sur ses sujets et gags, y compris à le faire jouer dans des films indignes de lui. Ça sera la fin d'une décennie prodigieuse, car il aura toujours beaucoup de mal à revenir sur le devant de la scène, à cause d'une vie privée agitée, de son alcoolisme, de ses échecs commerciaux, et il va finalement vivoter sur des courts-métrages, des apparitions (dont Les feux de la rampe, où il joue avec Charlie Chaplin), des publicités, ainsi que des émissions télé, où il connaitra une gloire tardive jusqu'à sa disparition en 1966.
Le grand mérite du film de Bogdanovich est d'être découpé en deux parties ; la première, sur une heure, qui parle de sa vie et de sa carrière, richement illustré d'extraits, d'archives, d'interviews de personnalités qui l'ont connu (Dick Van Dyke, Carl Reiner, Norman Lloyd) ou d'admirateurs (Quentin Tarantino, Johnny Knoxville ou encore Werner Herzog), avec un bon rythme, et qui donne envie de se replonger dans cette carrière. D'ailleurs, le commentaire, également de Bogdanovich, n'hésite pas à critiquer la qualité de certains de ses rôles ou films, ainsi que ses choix de carrière, dont celui d'aller à la MGM. Quant à la deuxième partie, sur quarante minutes, c'est une analyse brillante de plusieurs de ses films les plus connus, ceux cités plus haut, et sur sa réputation de casse-cou en nous montrant certaines scènes dangereuses. Je pense notamment aux Fiancées en folie où il se manque de se noyer sous nos yeux lors d'une scène dans une cascade.
D'ailleurs, il est dommage que par manque de temps, Bogdanovich n'ait pas pu interviewer un de ses plus grands fans ; Jackie Chan, qui a toujours proclamé son amour pour le cinéaste, au point d'avoir repris plusieurs de ses cascades dans ses propres films.
C'est une carrière atypique que celle de Buster Keaton, qui aura vraiment donné la pleine mesure de ses moyens sur une dizaine d'années, mais le souvenir reste très fort, et merci à Bogdanovich de nous avoir fait ce cadeau.