Butterfly Murders surprend par son aspect fourre-tout, mais avec du recul, les films de Tsui Hark ont toujours été entachés d'une narration assez chaotique rendue plus claire par des visionnages successifs, donc ce n'est pas trop un problème, d'autant plus qu'ici, le dénouement permet de rendre limpide le tout. Sauf que là il ne s'agit pas que d'histoire mais aussi de tâtonnement stylistique, et c'est là que réside selon moi le principal intérêt de ce premier long-métrage d'un touche à tout dont le talent créatif explosera surtout par la suite. Ainsi, les genres se chevauchent et pas toujours de manière très cohérente, ça fait penser à fois aux Oiseaux de Hitchcock et au film de détective et d'histoires à tiroirs à la Chu Yuan, le tout doté d'une esthétique très sombre, voire baroque, parsemé de séquences de violence à la Mario bava (plutôt bien foutues d'ailleurs).
On suit donc l'histoire de plusieurs clans qui se foutent sur la gueule dans un château féodal puis dans ses souterrains pour une raison qui ne sera éclaircie que dans le dernier acte (on se retrouve intelligemment au même niveau que les protagonistes, donc ce sentiment d'obscurité passe assez bien), d'où ressortent plusieurs personnages plutôt charismatiques, comme le lettré observateur (qui annonce la perspicacité du héros de Detective Dee), l'ombre verte utilisant des câbles à tout va, ou ce mystérieux guerrier en armure noire qui se bat comme un ninja mais avec une brutalité sans commune mesure (ses poings font bien mal). Leur look vieillit relativement bien malgré un côté plutôt funky propre aux seventies, le style film de costumes aidant bien en ce sens, par contre la chorégraphie animant les combats me paraît encore l'oeuvre d'un débutant, même si la dynamique des plans permet de pallier un peu à ça.
Malgré donc un rythme imparfait faute d'enjeux pas toujours très clairs et d'un montage fluide, mon appréciation est montée d'un cran vers la fin du film avec l'apparition d'une couche méta très intéressante, déjà existante dans certains films de Chu Yuan, et qu'on retrouvera dans les Detective Dee. Tsui Hark met donc en abyme le cinéma lui-même, où le fantastique est progressivement déconstruit et les artifices dévoilés, mais jamais de manière trop flagrante, comme l'utilisation que font les personnages des câbles, partie intégrante de leur arsenal, ou le lien avec les papillons tueurs au détour d'une séquence poétique magnifique (des plans comme ça sont malheureusement trop peu nombreux) donnant à penser que les plus belles choses peuvent être détournées par la main de l'homme.
Bref, Butterfly murders, malgré ses défauts de finition évidents, est intéressant par sa manière d'expérimenter et de revisiter les genres au sein d'une rencontre bouillonnante. Et c'est fou comment ce premier film annonce déjà plusieurs motifs du cinoche de Tsui Hark (son rapport imagé à la violence, le style chaotique tant au niveau du fond que de la forme, sa déconstruction du WXP, l'iconisation des personnages) tout en ne ressemblant à aucun autre, notamment à cause de sa touche horrifique à l'italienne sans aucun humour apparent (même si le coup du corbeau sacré m'a bien fait marrer, mais pas sûr que ce soit volontaire). Je le réserverais quand même aux fans hard-core du bonhomme désirant creuser sa filmographie car l'aspect boiteux de ce film risque d'en rebuter plus d'un.