Etrangement, j’ai repoussé la découverte de ce film pendant des années, je crois que je craignais que le fond de l’histoire ne soit trop noir pour mon petit cœur de Stéphanois sensible. Je ne connaissais que quelques scènes aperçues par bribes et le légendaire « Gamin ! » entendu sur le premier album de Billy Ze Kick. Je n’ai aucun regret, le plaisir de l’attente n’a fait qu’augmenter celui de ma séance cinéphile en compagnie d’un Poelvoorde comme je l’aime, tout en décalage et humour trash qui colle aux baskets avec en prime un second degré (voir un peu plus) qui met mal à l’aise juste comme il faut.

L’histoire, s’il y en a une, n’est que le déroulement du tournage d’un documentaire sur un tueur fou, Ben, à la limite de la psychopathie qui, pour survivre, tue à peu près tout être vivant facile à tuer et qui ne risque pas de trop lui résister. On découvre la vie au quotidien d’un tueur, ce qu’il mange, ce qu’il boit, comment il fait l’amour, mais aussi sa famille, ses amis bref, nous avons presque droit à l’étude sociétale du meurtrier récidiviste en milieu tempéré. Cette forme de narration a l’avantage de faire du film une succession de courtes scènes, liées entre elles par leur personnage principal et qui s’enchainent juste avant que n’arrive l’ennui, mais au détriment d’une histoire plus construite et plus linéaire qui aurait mis en place des enjeux un peu plus importants.

Pour plagier Bukoswki, cette histoire est un conte de la folie ordinaire mais donne un film extraordinaire, excessif, souvent outrancier et parfois outrageant. On rit beaucoup c’est vrai, mais avec toujours une gêne, un goût amer et dérangeant au fond de la gorge. Sans doute que la banalisation des crimes commis par Ben reste en travers, ce cours qu’il donne sur la manière de lester un corps avant de le jeter à l’eau, cette manière qu’il a de dire qu’il n’aime pas tuer des enfants parce-qu’ils ne sont pas solvables, tout ça participe à rendre ce film délicieusement impertinent et très incorrect, mais cela rend aussi très facile de passer totalement à côté. D’autant que la violence brut de décoffrage est omniprésente, transformant par moment ce film en un gigantesque bain de sang, mais rattrapé au vol par un humour qui rappelle parfois les Deschiens ou Grosland, lorsque Ben, sur le point de tuer, se met à improviser les plus pathétiques des poésies.

C’est en tueur philosophe que se transforme Benoit Poelvoorde, lâché ici comme un chien dans un jeu de quilles, on imaginerait bien qu’une partie des dialogues a été improvisée, tant ils tournent parfois au grand n’importe quoi des plus réjouissants. On ne voit que lui, l’équipe de tournage du documentaire sert avant tout à ne pas le laisser seul occuper l’espace, mais ne l’empêche pas de prouver qu’il est un acteur qui n’a pas froid aux yeux, ni ailleurs… Il sait être le personnage idéal au moment idéal, inquiétant, grand-guignolesque, pathétique, hilarant et même parfois touchant lorsqu’il sait se livrer. Benoit n’aurait pas été Poelvoorde sans ce rôle.

Ce film reste comme un des plus grands coups de pied au fondement que j’ai pu prendre, on prend son humour noir et sans aucun tabou de plein fouet. Les images sont souvent crues, sordides parfois, mais si elles frappent elles frappent toujours juste et fort. Je garderai longtemps cette impression de knock out à l’apparition des premières lignes du générique, d’avoir été bluffé par une violence sans concession mais jamais gratuite, par un acteur totalement imprégné d’un jeu qui se veut le plus réaliste possible, augmentant un peu plus le malaise de le voir à l’œuvre. Œuvre unique, force de frappe, qui m’ont résolu à ne plus repousser la découverte de films au motif qu’ils m’impressionnent. Car C’Est Arrivé Près De Chez Vous est impressionnant, mais il joue seul dans sa catégorie car, réalisé deux ans avant Pulp Fiction, il est beaucoup plus irrévérencieux, jouissif et percutant et surtout, beaucoup plus franc.
Jambalaya
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le 31 janv. 2014

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Jambalaya

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