Les débuts d'Alfred Hitchcock en tant que réalisateur ne sont pas des plus simples : ses deux premiers films sont d'abord refusés par les distributeurs et il faudra le succès de The Lodger, librement adapté des méfaits de Jack l'Éventreur, et porté par l'adulation du public britannique pour le comédien Ivor Novelo, pour que le jeune cinéaste commence d'être reconnu. Dans la foulée, conscient de ce qu'il doit à l'acteur vedette, Alfred Hitchcock travaille de nouveau à ses côtés à l'adaptation d'une pièce écrite par celui-ci : c'est Downhill, 


la longue disgrâce d'un fils de bonne famille,



un drame au succès confidentiel.


Ivor Novelo interprète ce jeune homme loyal, l'innocent pourtant désigné coupable, qui accepte son expulsion de l'université sans dénoncer son camarade réellement fautif. Colère du père, fuite du garçon, mauvais mariage qui le laisse sans le sou, et misère de la rue : de Londres à Marseille,


la descente aux enfers s'illustre de plusieurs tableaux inégaux



à travers lesquels le talent de l'acteur – quasiment de chaque plan – s'exprime librement. Ivor Novelo n'est pas adulé que pour son physique avantageux de gendre idéal, le comédien est doué et travaille avec justesse malgré les impératifs d'exagération du cinéma muet.
Ce qui n'est pas encore le cas du réalisateur. Jeune technicien, Alfred Hitchcock, s'il a déjà quelques idées précises de ce qui fait la puissance expressive d'une narration cinématographique, n'a pas encore les coudées franches pour les imposer, ni peut-être l'expérience nécessaire pour que ces éléments fassent mouche. Le cinéaste en est encore au stade de l'expérimentation disséminée : Downhill bénéficie certes de quelques plans symboliques à l'envie – comme cette descente dans le métro depuis le sommet des escaliers mécaniques ou cette autre, brusque et incertaine, ultime, vers la cale du bateau – mais cela reste insuffisant dans un ensemble qui ressemble bien plus à du théâtre filmé qu'à une œuvre de cinéma, et qui ne laisse alors que peu de place à l'empathie. On y apprécie la boucle narrative qui, partie des joies viriles d'un match de rugby, viendra s'y terminer ; on y apprécie également la galerie des portraits misogynes de femmes veules et manipulatrices, ces personnages forts que le maître saura régulièrement mettre en valeur dans sa future filmographie ; on se laisse porter par la mécanique du drame, mais



le rythme du métrage peine à embarquer complètement le spectateur,



et la résolution heureuse, façon happy-end incongru, ne convainc pas.


Dans la filmographie naissante du futur maître es suspense que deviendra Alfred Hitchcock, ce petit métrage reste relativement insignifiant et ne met pas encore réellement en lumière les recherches formelles et narratives de ce cinéaste passionné pas la manipulation des personnages et du spectateur, au contraire on sent le technicien peu impliqué, presque autant spectateur que nous face à la composition de son comédien. Le résultat laisse 


une distance préjudiciable à la narration



et installe un rythme sans vie, trop visiblement factice. L'exercice, s'il n'est pas un indispensable du maître ni de l'époque, reste pour autant appréciable. Sans compter que loin du thriller, Alfred Hitchcock filme là malgré tout quelques-unes de ses premières péripéties autour de l'innocent accusé à tort, un des thèmes central de son œuvre à venir.

Matthieu_Marsan-Bach
6

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Alfred Hitchcock - Docteur Es Suspense

Créée

le 25 août 2018

Critique lue 206 fois

Critique lue 206 fois

D'autres avis sur C'est la vie

C'est la vie
CeeSnipes
6

Insignifiant.

En 1927, Alfred Hitchcock est un cinéaste moraliste qui parvient à sauver les films sur lesquels il travaille grâce à une maitrise technique exceptionnelle et même novatrice. Sans...

le 26 févr. 2013

2 j'aime

2

C'est la vie
Lynch_Stanley
6

Critique de C'est la vie par Lynch_Stanley

“Downhill” est un drame muet réalisé par Alfred Hitchcock. Il s’agit de l’adaptation d’une pièce de théâtre d’Ivor Novello qui tient le rôle principal dans le film. Celui-ci débute sur une histoire...

le 13 juin 2023

1 j'aime

C'est la vie
Tinou
8

Critique de C'est la vie par Tinou

Une descente aux enfers qui ne lâche le spectateur qu'à la dernière minute. Difficile de ne pas s'attacher à ce personnage naïf qui persiste à croire en des valeurs nobles comme l'amitié et l'amour...

le 26 oct. 2010

1 j'aime

Du même critique

Gervaise
Matthieu_Marsan-Bach
6

L'Assommée

Adapté de L’Assommoir d’Émile Zola, ce film de René Clément s’éloigne du sujet principal de l’œuvre, l’alcool et ses ravages sur le monde ouvrier, pour se consacrer au destin de Gervaise, miséreuse...

le 26 nov. 2015

7 j'aime

1