Après avoir traité de la brigade des stups dans L.627, Tavernier s’associe à un instituteur pour écrire ce film se concentrant donc cette fois sur l’univers de l’école, et plus particulièrement d’une maternelle dans une petite ville miséreuse du nord de la France.
La démarche, très similaire, mérite d’être comparée au film précédent, parce que sa réussite est beaucoup plus grande. Le traitement reprend donc les mêmes procédés, consistant à documenter de manière exhaustive un sujet pour mettre au jour tous les mécanismes en œuvre dans un contexte au bord de la rupture. Le chômage, l’alcoolisme, les violences minent une population dont les enfants sont les grandes victimes, et que tentent de porter à bout de bras des instituteurs, entre désillusion, craquage et endurance. On retrouve quelques éléments un peu didactiques et une ambiance de salle des professeurs qui permettent de brosser le tableau sur le manque de moyens, le discours stérile des inspecteurs, l’inertie de l’institution et la manière dont le soldat de la république ne peut honorer ses convictions qu’en donnant bien plus que ce pourquoi on le rémunère.
Mais la justesse du ton et la pudeur du traitement sont ici particulièrement remarquables. Parce que Tavernier se révèle très à l’aise en filmant à hauteur d’enfant, et que son incursion dans une réelle école maternelle, avec ses intervenants, ses parents et sa population locale permet de combiner la fiction et l’authenticité attendue. Aucune concession n’est faite au pathétique, les éléments évoqués se suffisant largement à eux-mêmes. Au contraire, même : la musique de Sclavis insuffle d’avantage l’énergie de ceux qui font avancer la machine en dépit de tout ce qui la grippe, tandis que les cadrages savent garder la juste distance avec les faits les plus insoutenables, comme cette scène poignante d’un convoi funéraire passant dans le cadre des fenêtres de la classe.
Moins long, resserré autour d’un personnage plus riche et davantage cohérent que dans L.627, le récit sait exploiter sa figure pour enrichir les thématiques déjà entrevues dans le milieu décrit : par son rapport à son propre père, l’histoire de sa compagne, fille mère à 17 ans, et les accès de rage qui font de lui un électron libre empli de conviction et de colère, au risque de se noyer dans la mission qu’il se confie.
Cette profondeur s’explique par deux éléments qui se rejoignent dans la place donnée à l’art, et qui rejoignent une préoccupation qu’on avait déjà vue dans Un dimanche à la campagne au sujet de la peinture. Le projet qui fédère toute l’école permet, sans qu’on cède à un angélisme quelconque, de terminer sur des notes colorées et musicales dans une dimension festive où peuvent s’esquisser des sourires. Mais, en sourdine, c’est aussi toute la thématique de l’écriture aux heures perdues du directeur (Philippe Torreton, très juste dans son énergie à géométrie variable) qui nourrit les plages plus introspectives. De très beaux textes convoquent la mémoire d’une région marquée par la mine, la fierté d’une identité forgée dans la douleur et la possibilité d’un épanouissement par le verbe. La poésie, modeste mais nécessaire, de la même évidence que ces paysages où le sillon gelé fera place aux épis dans la brise, dit à son tour comment la beauté peut, fragilement, irriguer l’espoir. Et faire retrouver à Tavernier les profondes et grandes heures de son cinéma.
(8.5/10)