Nightbreed s’empare de toute une galerie de freaks auxquels il accorde un rôle on ne peut plus ambivalent : ils sont monstrueux et terriblement tragiques à la fois, à mesure que le spectateur s’engouffre dans ces sous-sols grouillant de créatures qui sont autant de membres d’une même et grande famille contre laquelle s’acharne un seul et même docteur. C’est dire que le film ne se contente pas de faire progresser son récit, non il renverse peu à peu la polarité axiologique qui définit les espaces et leurs occupants : les souterrains perdent de leur noirceur première et s’exhibent dans tout ce qu’ils peuvent avoir de forain et de spectaculaire, ils deviennent le conservatoire d’une authenticité contrainte de vivre cachée au fond d’un cimetière, d’un droit à la différence qui est bafoué par celles et ceux qui y opposent moult armes à feu et moult discours scientifiques.
Dès lors, le long métrage de Clive Barker s’apparente à une entrée en sauvagerie, mais différée : ce n’est que quand sont présentés et acceptés les monstres que le chaos survient, déchirant par le feu ou les balles les tissus sensibles développés jusqu’alors. Nous éprouvons aussitôt de la compassion pour ces êtres difformes mais remarquables parce que difformes ; le réalisateur réussit le tour de force de rendre attachantes des figures cannibales, violentes, visqueuses, grossies, bouffies, maladives. Son film est un long et divertissant envoûtement, porté par la sublime partition musicale de Danny Elfman : il convie son spectateur à prendre part à la révolte des freaks, tend à celui-ci un miroir dans lequel se projettent ses singularités fondamentales qui, à tout moment, pourraient l’exclure à son tour de la société de ses semblables et le contraindre à vivre reclus.
Entre cauchemar et onirisme macabre, le film construit des passerelles sensibles ou psychiques entre les êtres, accorde à cette part d’ombre en chacun une figuration grand-guignolesque mais fortement politique, une révolte décomplexée et furieuse à l’égard des catégories, des étiquettes, des modes. Pour refonder, à la lumière de la différence, un peuple de la nuit.