Dans un futur désolé, ceux que l'on nomme Négatifs sont incapables de rapports sexuels. Pour combler leur frustration, ils se rendent au Cafe Flesh, où des Positifs se donnent en spectacle sur scène, déguisements à l'appui...
Drôle de film que Cafe Flesh. Incapable de s'en tenir au b.a. ba du porno, il nous prend constamment à parti pour nous chuchoter quelques paroles glaciales, puis enchaîner sur un numéro dément. De la couleur, il y en a foison dans le film de Sayadian, en tous cas beaucoup plus au Cafe qu'à l'extérieur - sorte de grand vide industriel écrasé de bleu, de noir et de cendres, plaqué sur la toile quand le showman du Cafe y va de sa litanie sur le désespoir ambiant. L'effet est simple mais saisissant car mis en scène, et intelligemment placé au sein d'un montage qui exhale les sensations de corps comblés et souligne celles, brisées, des impuissants, incapables de contact physique sans avoir la nausée.
Une ambiance obtenue grâce à un travail tout particulier du réalisateur avec ses comédiens, a fortiori pour un film X : «L'objectif était d'amener les acteurs à se sentir isolés et indifférents alors même qu'ils étaient en train de faire l'amour. Seulement, il arrivait régulièrement qu'ils soient réellement excités. (...) Pendant le tournage, si, à un quelconque moment, je voyais quelqu'un -homme comme femme- d'excité, je hurlais : "Coupez !", et je lui demandais d'arrêter de prendre du plaisir. C'était vraiment perturbant, pour un casting chevronné de vétérans du porno.» (1) Méthode payante, Cafe Flesh illustrant de bout en bout l'injustice génétique à l'oeuvre, où la sexualité se définit par une véritable hiérarchie sociale, comme une forme concrète, banalisée, de la course à la performance (physique, sexuelle, plastique...).
Cruel mais essentiel à la réussite de Cafe Flesh, ce contraste inspire d'authentiques morceaux de bravoure sur scène, entre un type déguisé en rat qui passe sa langue entre les cuisses d'un donzelle et les performances d'un homme crayon tout droit sort d'un rêve de Satoshi Kon. Concis - 1h10 à peine-, Cafe Flesh aurait, chose rare pour un porno, gagné à durer 20 bonnes minutes de plus afin de laisser s'épanouir son univers, sa folie et son mal-être. Cela dit, peu importe, le film atteignant sans doute son sommet lors d'un travelling au ralenti où, fendant la foule, une Négative s'accroche à ses désirs enfouis sous les yeux d'un proche plus seul que jamais.
Du porno intello ? Que nenni, juste un petit film qui a compris qu'avec une direction artistique solide et un propos qui en a, on pouvait aller loin. Dont acte : un X dont le moteur est la frustration, c'est assez unique pour être apprécié.
(1) In Distorsion X, interview de Stephen Sayadian par Aude Boutillon, décembre 2014.