Il me suffit d'écouter en boucle ou de me repasser en tête le sublime morceau "Mystery of Love" de Sufjan Stevens pour retrouver cette sensation si particulière que peu de films arrivent à partager. Une sensation de nostalgie d'abord, la nostalgie de la campagne européenne, avec ses bois illuminés, ses rivières turquoises, ses chaises et tables blanches près de luxueuses vieilles maisons de famille ; la nostalgie de cet âge tumultueux, merveilleux, l'âge où on aime du mieux qu'on peu, maladroitement et avec toute son âme, l'age où on s'agrippe au transgressif, où l'on apprécie la beauté dans ses recoins les plus subtils ; la nostalgie enfin d'une idylle aux tons de liberté, d'insoumission, d'éternité.
Guadagnino, bien qu'il peine à mettre en place l'allure et le propos de son troisième film sur le désir après I am Love et A bigger splash, parvient néanmoins à pénétrer dans l'intimité la plus délicate, la plus aventureuse, et la plus envoûtante que la nature et le repos viennent parfois mettre en exergue. Une intimité entre deux hommes : l'un a 17 ans et fait partie intégrante d'un paysage sauvage et séducteur, l'autre a une trentaine d'années et joue de son indifférence et de sa nonchalance pour faire exister un non-dit, une inaccessibilité sexuelle et passionnelle.
C'est pour moi la grande réussite de ce film : son traitement du temps. Le temps que met un désir inavoué, indicible, mais bouillant à se concrétiser depuis le coeur d'une pêche jusqu'aux ballades à vélos dans la campagne italienne, en passant par la transpiration du volley-ball et la liaison musicale. Le temps que met le sentiment à s'exprimer, à se déclarer, à s'accepter pour ensuite être goûté dans sa plus belle volupté, son plus bel interdit.
Le temps que met un père à comprendre et encourager une amitié qui dépasse l'amitié, et qui avant tout apporte joie et chagrin à son fils, qui vient faire exister des sentiments auquel il lui conseille savamment de se cramponner
La force de cette relation brillamment interprétée par Timothée Chalamet et Armie Hammer réside dans son dépassement de la question du genre, de la sexualité, pour se sublimer dans une connexion simple, douce, et juteuse entre deux êtres. Deux êtres qui se reconnaissent comme frères, comme amis, comme amants. C'est une chance et une force que de pouvoir aujourd'hui porter à l'écran la beauté du jeu amoureux entre signaux, sensualité, frustration, pulsions, distance, indifférence et nostalgie sans se soucier de qui le joue, de son sexe, de son âge.
Une chance de pouvoir apprécier de manière éphémère ce qui très vraisemblablement et sous n'importe quelle forme nous est arrivé, aurait pu nous arriver, ou nous arrivera au détour d'un été.