Dans une Italie bucolique et pittoresque, Call me by your name de Luca Guadagnino nous raconte avec fièvre les premiers émois de deux démiurges. Le film est aussi solaire qu’un premier été, aussi sensuel et fougueux qu’une première fois. Un fantasme filmique élégant et sublime.
Call me by your name est une invitation au dépaysement avec un décor bourgeois idyllique, érudit mais qui n’est jamais ostentatoire dans la manière qu’il a de se dévoiler. Cette grandiloquence culturelle, cette sophistication environnementale qui s’affiche d’elle-même dans le film, est au contraire, une façon d’idéaliser encore mieux cette rencontre amoureuse, de rendre intemporel un été qui marquera une vie. Du film, émane une bienveillance rarement vue au cinéma pour ses personnages. De par la façon de cadrer, ou d’amener ses dialogues, il y a une empathie miraculeuse chez Luca Guadagnino pour un récit qui élève le désir et l’amour du film.
Call me by your name peut agir comme un rêve ou un souvenir : une belle demeure tapissée par de grands tableaux, où les fleurs et les potagers se nourrissent du soleil, cette oisiveté érudite faite de partitions de piano et de lecture ancienne, des discussions philosophiques sur l’Histoire, les cigales qui chantonnent au lever du matin, ces petites soirées entre amis autour d’une bonne table, ces jeux de carte lors de l’apéro, des baignades dans les fins lits de rivières. Dès les premiers instants, la technologie n’existe plus, l’essence même de la vie reprend son cours, un parfum d’allégresse et de calme s’installe, et un cœur bat la chamade à l’arrivée de cet Apollon venu presque du ciel.
Commence alors la relation tumultueuse entre le jeune doctorant Oliver qui vient étudier auprès d’un professeur et Elio, le fils du professeur, qui vient passer des vacances dans la maison estivale familiale. Agrémenté d’une mise en scène, fluide, belle mais jamais esthétisante, Call me by your name est plus qu’une simple amourette d’été. A la fois cotonneux et violent, on assiste à un récit sur l’éducation sentimentale, sur la fin d’une innocence, sur les affres du désir, sur une jeunesse qui esquisse ses premières tentations, qui mange le fruit au bas du pommier. C’est alors qu’on se laisse doucement bercer par cette ambiance bourgeoise, par ces digressions culturelles, par ces petites promenades en vélo, par la rêverie musicale de Sufjan Stevens, par ce portrait tendre et amer de deux hommes en pleine cavalcade face à eux-mêmes.
Malgré son cadre où l’art devient une diégèse, Call me by your name n’est que très peu théorique, n’intellectualise pas les sentiments qui sont en train de voir le jour. Entre la théorie et la sexualisation des corps à outrance ou même vulgaire, Luca Guadagnino trouve un entre deux parfait : le film est d’une sensualité brute, effleure la peau, et épluche les rapports où l’on ressent parfaitement les premières sensations de liberté, ces éruptions volcaniques du corps. Les mots parlent, mais les corps agissent. Si Luca Guadagnino tient une place importante dans l’avènement de la qualité même de l’œuvre, grâce à son regard délicat et presque paternel sur l’amour qui va agir sur ces deux jeunes garçons, Timothée Chalamet et Armie Hammer, les deux acteurs en question, sont formidables tant l’osmose entre les deux est détectable au premier coup d’œil.
Avec toutes ces discussions sur des statues de bronze immaculées et sensuelles qui vous invitent à être séduits par leur magnétisme érotique, Armie Hammer ressemble presque à cette vision de la perfection virile. Timothée Chalamet, quant à lui, est plus tactile et impétueux, juvénile et honteux de ses impulsions mais aussi excité par la promesse de sa genèse sexuelle soudaine. Pourtant Call me by your name avait tout pour être le sempiternel film à Oscar, qui allait nous aveugler de sa bonne conscience et de ses bons sentiments hypocrites. Sauf qu’il est tout l’inverse : la sincérité qui se dégage foudroie, comme si cet instant de vie paraissait vrai. Call me by your name est un film crépusculaire qui magnifie son antre, que cela soit au détour d’un baiser ou d’un regard évocateur.
La beauté du film, trouve son épicentre lors de ce monologue final entre Elio et son père : alors qu’Elio pleure la séparation et la distance, son père lui explique de façon déchirante la chance qu’il a eue de vivre une telle relation, et s’expose sentimentalement à son fils. Un échange père/fils qui marquera l’année cinématographique 2018, pour une œuvre qui fera de même.
Article original sur Cineseries Le Mag