Par une savoureuse coïncidence d’agenda, Lady Bird et Call me by your name sortent le même jour en France en plus de partager un de leur comédien, qui de second rôle ténébreux dans le premier devient tête d’affiche du second.


Si le sujet est le même – l’adolescence et la découverte souvent douloureuse des premières – les univers sont radicalement opposés. Là où Greta Gerwig peignait un univers étriqué dont la jeunesse veut à tout prix s’extraire, le film de Luca Guadagino offre à ses personnages l’écrin rêvé pour que s’épanouisse l’idylle amoureuse, de celles qui marquent une existence.


Et le récit de s’engouffrer dans cette torpeur estivale, escale italienne d’une famille polyglotte où l’on parle anglais, français et italien, en devisant sur des traductions allemandes de la littérature française du XVIè siècle : la demeure de vacances est une sorte de thébaïde dont les élus savourent sans ostentation le plaisir de la compagnie des autres.
Au raffinement intellectuel s’ajoute le plaisir des sens qu’offrira cette Italie rêvée : le soleil, les plans d’eau, les vergers généreux et les terrasses sous l’implacable chaleur complètent ainsi le tableau d’une parenthèse enchantée.


Le récit prend totalement en charge cette rythmique en demi-ton de l’oisiveté : sieste, loisirs, frontières brouillées entre le jour et la nuit désaxent assez longuement le découpage traditionnel de la narration, et permettent aux personnages, dans cette expérience de liberté totale, de baisser la garde. Les corps des statues antiques qu’on commente et qu’on retire de l’eau sont l’occasion de dissertations savantes, qui, on le sait, ne sont que le prélude à la vérité de la chair. S’il prend à bras le corps tous les clichés du cadre estival, Call me by your name en déjoue un grand nombre lorsqu’il s’agit de construire la progression de la passion amoureuse. Le duo expérimente, joue, pressent, s’éloigne et provoque, va voir ailleurs avant de se rendre à l’évidence ; la différence d’âge entre Elio et Oliver est elle aussi abordée avec tact : elle pouvait devenir le support d’une dramatique très attendue, alors qu’il s’agit surtout ici de trouver des points communs à des maladresses ou des fusions. Face au véritable amour, semble affirmer Guadagino, les êtres sont égaux en fragilité.


La longueur du film, errant par moments dans une stagnation presque hypnotique (on pense au travail de Hers dans Ce sentiment de l’été) établit un présent permanent, apte à faire s’épanouir des émotions décrochées de la fuite du temps : l’antiquité des archéologues se voit ainsi doublée de l’universalité du sentiment, et trompe un temps la jeunesse qui fera l’expérience sensuelle d’une forme d’immortalité fusionnelle.


Le secret du film se loge probablement ici : par l’abolition de toutes les barrières traditionnelles que pouvait nous servir un mélo en bonne et due forme, on accède à une vérité bien plus intense. L’homosexualité et la différence d’âge, ressorts dramatiques évidents, sont balayés à la faveur de circonstances qui privilégient l’affirmation d’une évidence. C’est en cela que le rôle des parents, témoins consentants, voire complices, structure tout le récit. Parce que cette vérité ne peut s’embarrasser de la sourdine du secret, elle devient cure de jouvence pour ceux qui vivent dans sa périphérie.


Le temps, bien entendu, reprendra ses droits. Mais l’échange entre Elio et son père, véritable sommet du film, lui permettra de vivre en dépit de lui. Dans les vérités profondes – et bouleversantes – que lui révèle son père fusionnent l’Histoire, la littérature et la modeste humanité : si le temps mange la vie, c’est surtout parce que nous hâtons sa marche en taisant la douleur qu’a pu générer en nous le rapport à la seule vérité, celle du sentiment amoureux. S’accomplir, c’est laisser cette part incontrôlée de nous prendre sa juste place.

Call me by your name n’est rien d’autre que la mise en image de cette assertion.


(7.5/10)

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le 3 mars 2018

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Sergent_Pepper

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