A mesure que l’œuvre de Dumont se déploie dans le temps, on cerne les inflexions qui la font se renouveler. Après les terres arides de Flandres, après le rêve américain de TwentyNine Palms, le cinéaste investit des territoires jusqu’alors vierges : une autre époque, celle du début du siècle, un personnage historique pour un récit inspiré de sa correspondance, et, surtout, un film essentiellement clos, voire carcéral.
Tout semble ici nier le panthéisme à l’œuvre dans Hors Satan : photographie bleutée, froideur de la pierre sombre, c’est l’atmosphère d’un asile psychiatrique qui retient toute l’attention chirurgicale du cinéaste. Sa précision habituelle du cadre, son regard frontal et sans concession dénude dès la première séquence Juliette Binoche qui, fidèle à elle-même, se donne corps et âme à son rôle, notamment le temps de longs plans séquences fixes durant lesquels seront restitués les méandres de sa psyché malade, entre délire de persécution et chagrin insurmontable. Frontal aussi, le regard sur la maladie, Dumont invitant de réels malades mentaux à entourer la star qui, dans un premier temps, fait figure de saine d’esprit en enfer, traitant les pensionnaires avec une compassion qui la mettrait à l’égal des sœurs en charge de les accompagner. Cette posture intermédiaire résume toute la compassion du cinéaste à son égard, qui laisse surgir la folie de façon épisodique, sans grands effets de manche, alors que certaines issues semblent de temps à autre salvatrices : la lumière qui irise les branches de l’arbre du cloitre, le mistral sur la rocaille du sud de la France, une poignée de glèbe de laquelle pourrait surgir la forme et l’art défunt de la sculptrice.
La deuxième partie du film tranche en changeant de point de vue au profit de Paul Claudel, dont Camille attend impatiemment la visite qui sera décisive quant à sa sortie ou non de l’asile. L’homme de lettre, grand catholique, devise sur sa foi, écrit et professe avec la certitude qui fait défaut à sa sœur, dessinant deux facettes de la conviction : la dévotion théorique, et assez détestable, contre le dévouement, corporel, jusqu’à l’aliénation. Le tout contre le rien, la froideur contre le désarroi.
Point de salut dans cette descente vers l’enfermement, en dépit des discours que la théologie débite pour le rendre acceptable.
Comme toujours chez Dumont, il s’agit de donner à vivre pleinement, sans recul, cette souffrance. Tout y contribue, et Camille Claudel, 1915, est un film âpre et difficile à vivre, dont la lenteur et la répétition infligent au spectateur la même peine que la protagoniste.