Et c'est une première pour Bruno Dumont. En effet, il dirige enfin une comédienne (Juliette Binoche) et un comédien (Jean-Luc Vincent) qui sont des professionnels de talent (non, pas la peine de me sortir la purge Twentynine Palms, car j'ai bien précisé "de talent" !).
Trois jours de la vie de la sculptrice de génie Camille Claudel (son frère, Paul, lui rend visite lors du dernier !), durant l'hiver 1915, dans l'asile d'aliénés de Montdevergues, dans lequel elle a été enfermée arbitrairement sous la pression de sa famille.
Une Camille Claudel qui, malgré une tendance à la folie de la persécution, a suffisamment de lucidité pour qu'elle et le spectateur ne voient pas cela autrement que comme un emprisonnement révoltant. Elle n'a absolument rien à faire là, parmi ses folles qui hurlent, qui font du bruit, qui divaguent, et ce personnel qui lui parle comme si elle était une gamine à qui on a besoin de faire la leçon.
Le choix d'une actrice célèbre, connue et reconnue, est parfaitement logique. D'abord, Camille Claudel est elle aussi célèbre, connue et reconnue (même justification pour Paul !). En outre, voir Juliette Binoche, environnée d'amateurs (ou plutôt d'amatrices !) pour les seconds rôles, accentue brillamment cette impression qu'elle n'a absolument rien à foutre là (c'est un compliment, je le précise !). Son interprétation sans fard (au sens propre comme au sens figuré !) est intense. Aucune expression de son visage, judicieusement mis en avant par des gros plans fréquents, ne manque pour dégager de la puissance.
Et il y a le petit frère, Paul Claudel, qui a trouvé la grâce de Dieu selon lui. Qui a des idées de ce qu'est la chrétienté doit être, de ce que doit être un bon chrétien. Eh oui, un Monsieur d'idées qui croit que ses croyances, qu'il exprime longuement et mécaniquement dans des monologues (soulignant qu'il est définitivement tourné vers lui-même !), forment un blanc-seing lui donnant toute latitude de se comporter en véritable enflure. Il est incapable de voir ou se refuse à voir qu'être un bon chrétien, c'est aller vers l'autre, l'aimer, l'aider dans la mesure du possible. Il est tout aussi égocentrique et orgueilleux qu'une Hadewijch, sauf que Dumont offre une possibilité de rédemption à cette dernière. Le futur auteur du Soulier de satin, lui, ne sera jamais sauvé.
Ah oui, pour finir, il y a la confirmation définitive que le réalisateur est talentueux quand il s'agit de donner une forme visuelle d'une très grande beauté à ses œuvres. D'accord, la rocailleuse et sèche ville de Saint-Rémy-de-Provence l'aide autant admirablement dans cette entreprise que ses Flandres natales. Mais pour transformer cette ambiance, grisâtre malgré le cadre, en un tel régal pour les yeux, il ne faut pas être un manche.
Bref, du fait de la distribution, du fait du changement géographique, un virage bien entrepris dans le cinéma du metteur en scène, car ne perdant nullement en qualité et en personnalité. Camille Claudel 1915 se permet même d'être un de ses meilleurs opus.