LES CARTES POSTALES PASTEL, OU, LA PASSION POUR LE POISSON

C’est par hasard que je suis allé voir Camping du Lac d’Eléonore Saintagnan. Je n’en attendais donc absolument rien. Je me suis retrouvé là, seul dans la salle de cinéma, et j’ai d’abord trouvé cela plaisant. À la fin du film, néanmoins, j’ai pensé qu’il était tellement dommage d’être seul face à une telle œuvre, dommage pour le film et dommage pour les absents. Je tiens Camping du Lac pour un grand petit film.


La narratrice (jouée par Saintagnan elle-même) se retrouve, comme moi, par hasard dans ce camping, après être tombée en panne. Par son arrivée, elle nous présente les récits de vie des différents personnages, comme autant de cartes postales aux couleurs pastel : une mère qui élève son enfant seul, un père qui attend que son enfant sonne, un cryptozoologue qui espère que le poisson morde, un poisson énorme, légendaire ou monstrueux, de la taille de plusieurs hommes, un silure saint dont tout le monde parle mais que personne n’a encore jamais vu…


D’un point de vue formel, le film m’a énormément surpris et a touché là où je ne l’attendais pas, le rendant encore plus émouvant pour moi. Les cadres, ceux du camping comme ceux du film, sont bucoliques, agréables, chaleureux, et ça fait un bien fou. Il a la durée idéale pour un film, et il remplit pertinemment ces 1h10, là où certains films ont du mal à le faire en plus de 2h.


Certains personnages dont on ne sait pas vraiment s’ils sont incarnés par des acteurs, des modèles, ou des quidams, ont une vraie gueule de cinéma à en rendre jaloux Dumont et qui contraste avec la pureté du visage de Saintagnan. On sent dans le regard de tous les personnages qu’ils portent le poids d’une vie sans qu’ils aient besoin de prononcer mot, on trouve du réel dans chacun d’eux.


Ce réel est contrasté par tout l’aspect merveilleux de cette comédie dramatique. L’histoire du poisson, d’abord religieuse, mythique, devient de plus en plus concrète, palpable, au fur et à mesure que le film avance, jusqu’à ce qu’on l’aperçoive enfin : étant, pour ma part, toujours impressionné par les trucages, j’ai particulièrement jubilé devant ce poisson-chat gigantesque. Il me semble que le cinématographe peut être outil de prestidigitation et, comme pour chaque tour lorsqu’on en comprend le mécanisme et les moyens, je crois que l’effet spécial numérique retire tout charme à la magie d’un trucage. Ici, on sent que le poisson est constitué de matière, qu’il prend corps, que la boue glisse vraiment sur ses nageoires, ses yeux, ses écailles ; sa mort en est d’autant plus touchante. Un poisson entièrement numérique n’aurait pas pu avoir un tel impact, le film est généreux avec son spectateur en lui permettant d’avoir un vrai monstre artisanal face à lui.


Le seul bémol que j’émettrai sur Camping du Lac concerne la musique extra-diégétique qui est, à mon sens, un petit peu trop présente (bien que l’on tombe très rarement dans le clipesque). Néanmoins, le film contrebalance paradoxalement cette faiblesse par une séquence musicale, intradiégétique cette fois-ci, où un père et une fille se retrouvent autour d’une chanson après des années loin l’un de l’autre. Les notes compensent les mots que l’on ne peut dire et les regards intimidés.


Tous ces éléments, ces détails, ces légères imperfections parfois, font de Camping du Lac un film profondément humain ; les mêmes humains qui vident le lac et font mourir le poisson ; les mêmes humains qui assemblent leurs efforts pour chercher à faire survivre ce poisson qu’ils aiment tant.


Don-Droogie
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le 16 sept. 2024

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Don Droogie

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