Edward aux mains d’argent est un film qui joue avec les contrastes. Burton nous l’annonce dès les premières minutes : le générique aux tons bleutés et mécaniques qui évoquent le manoir où a pris vie Edward (Johnny Depp) est en opposition avec la lumière chaleureuse et orangée de la chaumière de la première séquence où une Winona Ryder vieillie raconte à sa petite-fille d’où provient la neige. Ce contraste exagéré se retrouve dans tout le film et permet d’ailleurs de placer la tonalité du film : celle du conte, de la légende, du merveilleux. Cette ville aux couleurs pop est une hyperbole et une critique de la société consumériste américaine et de la classe moyenne; derrière un paraître factice et orthodoxe (chacun possède la même maison, la même voiture, les mêmes habits colorés…), les habitants sont des commères, des hypocrites, des voyeurs, des jaloux. A ce tableau s’ajoute Edward, personnage en noir et blanc, à l’aspect gothique, sadomaso, aux effrayantes mains faites de ciseaux qui l’handicapent, et qui est pourtant présenté comme un enfant timide et maladroit. D’abord objet de rumeurs, puis de fascination et enfin de panique, Edward, artiste candide, est inadapté au monde et se fait exploiter pour ses talents. L’allégorie est comprise, Burton se rêve en Edward qui devient son avatar le temps d’une histoire avant d’aller dormir.
Mais un film n’est pas qu’une histoire, et Burton n’est pas le grand artiste incompris qu’il croit être. Au contraire, on le voit arriver de très loin, avec ses gros sabots. A plusieurs reprises, des individus prononcent la même phrase à Edward : “Je connais un docteur qui pourrait vous aider”, sur-appuyant l’idée qu’aux yeux des autres, il est un monstre, qu’il est différent, qu’il a besoin d’aide. Mais le propos avait été très bien compris, il n’était pas nécessaire de le redire encore et encore. Et si nous n’avons pas saisi le sens d’une scène, aussi balourd puisse-t'il être, pas de problème : la musique halloweenesque de Danny Elfman en remet une couche. Tous ces contrastes, ces exagérations, ces effets de styles en abondance et cette forme tartinée en veux-tu en voilà manquent de nuances, de subtilité. L’artificialité de sa forme n’a d’égale que l’artificialité de son récit : la relation entre Kim (Winona Ryder) et Edward ne tient que sur du vent, elle ne naît de rien. Kim est d’abord effrayée par Edward, puis son frère et son petit-ami Jim (Anthony Michael Hall) se moquent de lui en disant qu’il est amoureux d’elle, et il suffisait qu’elle comprenne cela pour tomber elle aussi amoureuse. C’est quand même sacrément plat…
Il y a pourtant de bonnes idées parfois, cachées entre les cuts, comme le teint d’Edward qui perd de sa blancheur plus il est en contact avec les gens qu’il aime et qui l’aiment. Le travail sur les décors est colossal, celui sur les costumes (et ces mains en ciseaux réalisées par Sam Winston !) marche globalement très bien. La maquette de la ville lors de l’introduction, lorsque la caméra s’échappe par la fenêtre pour se rendre au manoir d’Edward, est visible, discernable, mais a un charme indéniable. Mais cela ne suffit pas à faire un bon film, Burton n’est pas un grand cinéaste. Il est un plasticien, et sa seule force est cette pâte singulière, cet univers légèrement déjanté, mais le médium pourrait être interchangé que l'œuvre resterait inchangée. Cinématographiquement, son vocabulaire est assez pauvre : des champs, des contrechamps, des plongées et contre plongées, bref des moyens scolaires. Edward aux mains d’argent est filmé comme un téléfilm et ne laisse pas place à la subtilité, à la nuance. Il filme le visible, jamais l’invisible. Pour un film qui considère que l’habit ne fait pas le moine et veut parler de l’intériorité de ses personnages, c’est une véritable dissonance.
28/09/23