"Bien sûr qu'il avait un nom, il s'appelait, Edward..."
Autrement dit, Tim Burton.
Œuvre magistrale, naïve, irrésistible, foudroyante, féerique, mais qui sait jouer du réel tout en intégrant les codes d'un conte moderne, le film chouchou de Tim Burton (selon ses propres mots dans le magazine "Première"), permet de rendre crédible un récit qui se veut fantastique, mais qui ne l'est pas vraiment dans son rapport monstrueux en confrontation avec la société d'une banlieue typiquement américaine, chatoyante comme une jolie vignette de collection kitch.
On se trouve dans cette époque où un simple croquis permettait au réalisateur d'exprimer son don (l'idée du film est venue d'un de ses dessins) ; il avait alors une inspiration, une quantité de choses à partager, des impulsions personnelles, quand par la suite, il s'est effacé en se reposant machinalement sur son savoir-faire pour se caricaturer un peu. D'artiste, il est devenu artisan...
Le début commence par l’histoire de la neige. Pourquoi les flocons tombent-ils du ciel ? Jolie astuce scénaristique qui touche à la magie d'une histoire de père noël a priori anecdotique.
La découverte d'Edward, maquillé comme dans un film en stop motion, relève autant d'une fable mythologique que des réalités contraignantes des rapports humains. Son identité est double : il est à la fois la production d'un artiste et lui-même un chef-d'œuvre vivant. Génie hyper sensible, il a été créé tout en pouvant produire de l'art à son tour avec ses mains de ciseaux. Un vieux savant a généré un sculpteur surdoué, parce qu'inachevée, même s'il avait prévu son humanisation comme procédé final...
"Mon dieu je dois rêver".
Avec son aura maternelle, ce sont les premiers mots de la fabuleuse Dianne Wiest, dans le jardin du monstre, qui par la suite sera enchantée par l'authentique candeur de celui-ci, après une petite frousse.
"Je ne suis pas fini", dira Edward.
Dans sa solitude créative, le héros devra faire face à la classe moyenne, avec son lot de fascinations, de trahisons, de relations impossibles au point de perdre une part de sa candeur et de réagir avec agressivité quand il se rendra compte que son amour caché a abusé de lui.
C'est une notion d'auteur. Le film est un média pour le réalisateur afin de faire passer sa confidence. Tim Burton a avoué avoir maltraité le jeune compagnon de Wynona Ryder pour se venger de son adolescence.
Si le talent d'Edward est d'abord l'objet d'une fascination sympathique quand il s'improvisera coiffeur ou paysagiste, il sera rapidement victime de sa dextérité, à la fois géniale et handicapante, voire horrifique. Ses mains ne sont pas tactiles, et jamais sensuelles, contrairement à Wynona Ryder. Ses doigts peuvent être tranchants, capables d'un instant de grâce comme d'un meurtre potentiel et accidentel.
Le personnage d'Edward est un enfant qui doit apprendre les formalismes et les rapports sociaux d'un microcosme qui aujourd'hui ferait penser à la série "Desperate Housewifes" façon années 90. C'est un croquis imaginaire, un dessin vivant, abondant dans sa sémiologie.
Edward est Tim Burton.
Lorsque les bruissements doux de la musique de Danny Elfman accompagnent les grands yeux envieux d'Edward, en pleine fascination envers l’amoureux de Winony Ryder qui peut la prendre dans ses bras, le réalisateur nous partage son histoire, ses troubles et son spleen vécus quand il était jeune.
Il se passe alors un étrange moment de Noël. Wynona Ryder, en train de décorer un sapin familial, se met à sentir quelque chose d'inhabituel à l’extérieur, sous la musique féerique de Danny Elfman, maîtrisée par des vocalises au pouvoir d'évocation impressionnant. Edward sculpte de la glace tandis que Wynona se met ensuite à danser sous l'effet de transe de cet état naturel nouveau, où chaque flocon est montré comme un objet de fascination tactile. La séquence est courte, mais d'un chatoiement visuel qui procure des frissons à chaque instant.
Tim Burton finira en haut de son château, et Edward, son double, déploiera sa neige en sculptant de la glace de façon abondante, tout autant que sa solitude sera grande.
Voici l'antre de Tim Burton, là où il dévoile son histoire intime et ses états d'âmes personnels de jeune homme solitaire, admiratif, désireux, en peine et parfois catatonique.
Ce sont les larmes du réalisateur sous forme de flocons qui tombent du ciel.