avr 2011:

Quel joli film, d'une extrême délicatesse, comme une grande et longue respiration. C'est très agréable de voir un film de ce type. Comme dire? Je cherche des équivalences, je n'en trouve pas. Peut-être dans certains films japonais, ou plus largement asiatiques, dans lesquels le temps est considéré à sa juste place. Je ne dis pas forcément que le cinéma doit à tout prix suivre une cadence ultra réaliste, non, bien entendu, mais qu'il est bon parfois de voir un film qui prend le temps, qui donne à ses personnages l'occasion de se poser et d'attendre qu'un évènement arrive.

C'est bel et bien le cas ici. Pietro (Nanni Moretti) perd sa femme. Attentif avant tout à la réaction de sa fille, il en oublie sa propre tristesse. Le jour de la rentrée, il l'accompagne à l'école et décide de rester là, tout près, à attendre, tous les jours, jusqu'à... il ne sait pas trop, il veut juste être là au cas où sa fille aurait besoin de lui.

Il le peut, il en a les moyens. Et donc il passe ses journées sur la grande place en face de l'école, guettant le moindre appel de sa fille, il passe son temps sur un banc, au café, dans sa voiture, il marche, il observe, il attend, il s'octroie une incroyable liberté. Avec le temps, va, tout s'en va.

Dans notre société, il est devenu commun de rejeter cette liberté. Souvent on se la nie. On n'a plus le temps. Les gens qui en ont sont vus comme des privilégiés, des rentiers, des gens qui peuvent, des salops qu'on envie la plupart du temps, dans le pire des cas on les rejette comme des feignants, à la marge, il faut s'en méfier, des excentriques, des artistes ou des va-nu-pieds. Et le film n'aborde pas cette liberté sous cet angle, sans doute parce que tout le monde estime qu'en période de deuil, Pietro en a bien le droit après tout.

Il est vrai qu'il ne s'exclut pas pour autant de la société. Sa secrétaire vient le voir, il lit les journaux, rentre avec sa fille chez eux chaque soir, aborde des gens, communique, téléphone, mange, drague, fait l'amour, s'amuse, travaille, réfléchit, reçoit ses amis, sa famille, ses collègues, son patron. La vie ne s'arrête pas totalement.

Mais les priorités ont changé. Celle d'attendre est au premier rang. Cette place est en quelque sorte devenue son nouveau bureau. On le complimente sur la beauté de l'endroit. On s'habitue. Avec le temps. Pietro s'habitue lui aussi, à l'endroit, à ce rythme de vie, aux personnes qu'il croise, qu'il apprend à connaitre.

Peu à peu le temps fait son travail. C'est cette lente progression que le film nous conte avec une belle maitrise car on pouvait craindre à la fois une charge de pathos et également ce foutu ennui qu'on associe trop bêtement à l'attente.

Les scènes de tristesse sont incroyablement légères. Comment fait Antonello Grimaldi? Sans doute que la manière de décrire cette attente, faite de moments gais, voire drôles, que la photographie souvent lumineuse et le jeu de Moretti d'une profondeur authentique préparent admirablement le terrain pour que cette douce sérénité s'empare du film et des personnages. Quand arrive le moment où Moretti expulse sa douleur, il se dégage de la scène une sorte de soulagement, comme si le spectateur pouvait le toucher et lui offrir une épaule pour s'épancher. Tout se déroule comme la vie le prévoit, malgré les complexités de l'être humain, c'est à dire dans un élan tout simplement naturel. Ses pleurs ne sont en aucun cas pathétiques. C'est juste la vie.

Il y a une bande musicale très anglo-saxonne, très rock-pop qui se voudrait tout aussi guillerette mais que j'ai trouvé un peu trop artificiellement posée là, juste pour alléger le récit. Trop voyante. Pas aimé. Ça m'a souvent dérangé. C'est bien le seul truc qui m'a chiffonné.

Voilà un film sur le deuil qui répond avec enchantement à "La chambre du fils", qui pour le coup m'avait déplu parce que sur-pathétique, d'une trop agressive noirceur. Ce "Caos calmo" est blanc. Pas le pur mais le neutre, celui de la pause. "Stop, je prends le temps de peser l'évènement, la mort de ma femme, la souffrance de ma fille, je prends le temps de réaliser ce qui se passe pour elle et pour moi, j'attends le moment où elle pourrait tomber, je la rattraperais". Voilà. Simple, doux et beau, comme la vie.
Alligator
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le 18 avr. 2013

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Alligator

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