Intéressante figure de l'imaginaire que celle du pirate : rebelle en guerre contre une société aux moeurs trop rigides, inventant sa propre petite société sur le pont de son navire, aventurier reniant une civilisation trop policée, toujours en quête de trésors, mais qui, une fois obtenus, ne fait que les dépenser sans compter ou les enterrer quelque part sur une île paumée au beau milieu de l'océan, se moquant ainsi de la richesse, et d'un monde trop matérialiste. Ce n'est pas un hasard si les histoires de pirates, qu'elles soient couchées sur papier ou portées sur le grand écran, devinrent aussi populaires respectivement à partir du XIXème siècle et XXème siècle, périodes d'essor du capitalisme.


Et l'un des plus grands fleurons du film de pirates se trouve probablement être Capitaine Blood.
Les grands studios américains avaient en amour les films d'aventure à base de romance, de cape et d'épée, mais ils n'ont plus assez de pépètes lors de la crise de 1929 pour pouvoir continuer à en faire. Mais en 1934 est fondée la Légion de la Décence, qui veille à ce que les films modernes restent politiquement corrects, et l'on voit avec les adaptations sorties la même année de l'Île au Trésor et du Comte de Monte-Cristo, que ces films historiques en noir et blanc consistant en règle générale à filmer un héros moustachu et au grand coeur vivre des aventures palpitantes, taillader des méchants et gagner les faveurs de la donzelle, sont un bon moyen de contourner cette censure.


La Warner décide alors d'adapter un roman de Rafael Sabatini, initialement avec Robert Donat dans le rôle principal, qui décline finalement. Aucun autre acteur célèbre n'étant disponible à ce moment, le studio décide d'engager Errol Flynn, un parfait inconnu débarqué tout droit de l'île d'Albion, qui avait joué quelques rôles mineurs au cinoche, et se trouve fort d'une personnalité fantasque et turbulente : enfant, il était tellement fasciné par la mer qu'il s'était introduit sur le bateau de son grand-père, qui dut faire demi-tour pour le ramener à terre, et au collège, il se fit souvent virer comme un malpropre pour s'être bagarré avec ses petits camarades.


Personnalité qui sert à merveille son interprétation du personnage de Peter Blood, médecin mettant son devoir moral qui l'enjoint à soigner un rebelle au-dessus de la loi d'un roi inique.
Il est condamné et vendu comme une bête au propriétaire d'une plantation de canne à sucre, mais à force de malice, il parviendra à s'échapper avec ses compagnons d'infortune, et deviendra un pirate aussi respecté que redouté.


Michael Curtiz (Casablanca, l'Aigle des Mers, Le Roman de Mildred Pierce...) tire ici le meilleur de Flynn, gentilhomme qui enchaîne les mots d'esprit fins et acérés, trompe les crédules avec adresse, canonne les navires ennemis, se bat en duel contre les mécréants (mention spéciale à Basil Rathbone, sachant très bien jouer les méchants, et contre lequel Flynn se battra à nouveau en duel dans Robin des Bois), reste attaché à ses valeurs de galanterie et de camaraderie, fait tomber de pâmoison la donzelle (d'ailleurs jouée par Olivia de Havilland une autre inconnue au bataillon à l'époque qui offre une vraie alchimie avec Flynn).


En plus, la réalisation dynamique de Curtiz fait bouger la caméra même lors des scènes de dialogue, lui évitant ainsi de tomber dans l'écueil du théâtre filmé chiant comme la pluie, et lui permettant du même coup de capter l'attention des petites mirettes du spectateur, avec en prime un superbe travail sur les ombres donnant une mise en scène presque expressionniste par moment.
Note également, ami lecteur, que les décors et costumes tiennent toujours la route, et possèdent aujourd'hui encore cette capacité qui consiste à nous faire oublier que ce n'est qu'un décor situé dans un studio cuisant sous le soleil californien, et nous faire croire que ceci est le pont d'un navire de vaillants loups des mers, ou que cela est l'intérieur d'un tribunal.
Le lancer de dés de la Warner fut un un joli succès, et permit à Errol Flynn de devenir une référence du cinéma d'aventures.


À bien y réfléchir, ce film est un peu comme un bon vin, il n'en devient que plus savoureux à mesure qu'il vieillit.


Note : Film en noir et blanc avec des pirates moustachus/20.

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le 5 févr. 2020

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