Capitaine Conan par pierrick_D_

Putain,celui-là est très bon,du Tavernier en grande forme!Le réalisateur adapte avec un de ses habituels complices,Jean Cosmos,un livre de Roger Vercel qui nous plonge dans une époque finalement peu connue,celle de la fin de la guerre 14-18 dans les Balkans.Le film commence avec les derniers combats des alliés franco-anglais face à leurs ennemis germano-bulgares à la frontière entre Grèce et Bulgarie.Après la victoire et l'armistice,les troupes de l'armée d'Orient font escale à Bucarest en pensant rentrer bientôt en France.Mais voila qu'on les renvoie guerroyer en Hongrie contre leurs anciens alliés russes!Cette épopée oubliée est racontée avec puissance et intelligence par Tavernier,qui utilise comme fil rouge le personnage charismatique de Conan,jeune quincailler breton devenu chef d'un commando d'une redoutable efficacité.Le début du film déconcerte un peu,marqué qu'il est par une certaine lenteur,une certaine confusion,et une reconstitution historique légèrement trop appliquée.Le cinéaste s'attarde assez complaisamment sur les uniformes,les armes,les véhicules et le parler pittoresque,genre argot militaire,est un peu trop mis en évidence,le tout étant saupoudré de touches d'humour pas trop raccord avec l'ambiance.Mais petit à petit,ça se met en place et l'horreur des combats,filmés avec un grand réalisme,fait entrer l'oeuvre dans une autre dimension.On finit par comprendre que la confusion initiale relève en fait de la logique,étant donné que les soldats eux-mêmes ignorent où on les envoie,qui ils vont devoir combattre,et pour quelles raisons.Car ces "opérations extérieures",selon la terminologie du haut-commandement,sont,en plus d'être meurtrières,totalement absurdes.L'absurdité de la guerre,plus encore que son horreur,est le véritable sujet de "Capitaine Conan".Les officiers supérieurs sont de vieilles badernes d'une arrogance et d'une incompétence criminelles,les objectifs sont mal définis,les soldats,abrutis de violence et de fatigue,se comportent à l'arrière comme au front et font l'objet de procès expéditifs,souvent pour des peccadilles.On se croirait dans "Les sentiers de la gloire",de Kubrick,qui évoquait aussi les tribunaux militaires de la Première Guerre Mondiale.Et au milieu de ce bordel,il y a Conan.Conan le Barbare.Le jeu de mots est facile mais très adéquat.A la tête d'un corps franc composé de têtes brûlées dans son style,il se glisse derrière les lignes ennemies pour y opérer des massacres,de préférence au couteau,d'une sauvagerie inouïe.Grande gueule et beau parleur,entêté et excessif,Conan méprise la hiérarchie,Conan se fout des ordres,Conan se fout de l'armée,peut-être même que Conan se fout de la France.S'il tue avec autant d'enthousiasme et de témérité,c'est simplement parce qu'il aime ça,parce qu'il a trouvé là un sens à sa vie et découvert l'endroit où il doit se trouver pour être lui-même.Et Tavernier souligne fort pertinemment qu'on a besoin d'hommes comme lui pour gagner les guerres,que ce sont ces personnalités quelque peu psychopathiques qui forgent les victoires.Conan revendique d'ailleurs haut et fort d'être un guerrier et non un soldat.Hélas pour lui,les guerres ont une fin et lorsqu'on le retrouve quelques années plus tard,de nouveau quincailler breton,c'est un homme brisé,malade et désabusé qui apparait,bien loin du héros flamboyant des Balkans.Un homme qui a perdu sa raison de vivre.Philippe Torreton,qui s'intéressait plus alors à son métier qu'à la politique,est juste extraordinaire dans ce rôle dont il s'empare avec un engagement total.Et autour de lui,c'est du tout bon.Les vieux officiers d'active sont interprétés par des pointures telles que Bernard Le Coq,François Berléand,Claude Rich et André Falcon.Ils font ressortir toute la morgue qui animait ces hommes issus de grandes familles,généralement aristocratiques,ce qui nous vaut des scènes illustrant à merveille la lutte des classes qui traversait aussi l'armée française.Samuel Le Bihan,qui joue Norbert,l'ami et le double humaniste de Conan,fait preuve d'une belle subtilité.Saluons également le flair de Tavernier qui fait apparaitre au détour d'une scène de jeunes comédiens peu connus ,voire inconnus,qui ont fait du chemin depuis.Passent ainsi devant la caméra Laurent Bateau,Frédéric Diefenthal,François Levantal,Frédéric Pierrot entre autres.