Au cours de la très courte période où je me rêvais acteur (après avoir, encore plus petit, voulu être cosmonaute, pilote de formule 1, super-héros ou chanteur de rock), j'avais souvent le fantasme de cette scène, qui avait l'énorme avantage d'être super simple à jouer, où l'on voyait le héros tragique de l'histoire (moi, donc) au volant d'un véhicule, scène dont la force dramatique résidait dans l'accumulation des kilomètres qui l'éloignaient du lieu d'une déchirure implacable et homérique. Toute la mécanique de l'instant fonctionnait sur le non-montré, était accompagné par une chanson imparable, et laissait peu de doute sur la force du scénario ou celle des interprètes du chef d'oeuvre. D'ailleurs, inutile de dire que c'est moi qui avais écrit un tel sommet du 7ème art.
Le petit délire interne avait d'ailleurs un gros avantage: à chaque fois je montais dans une voiture, elle était possible à mettre mentalement en scène.


Lorsque, au trois quarts de Captain Fantastic, Ben quitte la demeure de son beau-père, seul, au volant de son bus familial soudain dépeuplé, on est pas loin de retrouver la scène dont je rêvais plus jeune. Un déchirement intense en tout cas, que le père d'une famille à moitié aussi nombreuse que celle du film peut pleinement ressentir.
Le problème, c'est que le film, qui pouvait presque être considéré comme parfait jusque-là, assumant ses contradictions et jouant sur les limites de son discours, renie brutalement, après ce moment assez intense, presque tout ce sur quoi il s'était bâti.


Pour une fois, le titre ne vend pas de la lessive: le captaine porte bien son nom. Ce père de famille est alpiniste, philosophe, scientifique, médecin, chasseur, musicien, chauffeur de bus, athlète, voleur, naturiste. Oui, mais voilà, le vigoureux Viggo est aussi papa. Dont la radicalité des convictions va peu à peu contribuer à transformer sa famille soudée, en gentille secte dont il est le gourou charismatique.
Du coup, et pour les raisons évidentes sus-nommée, cette espèce de faux feel-good movie a remué pas mal de choses en moi. Il n'est pas (non plus) un film engagé mais se révèle juste et affuté sur le regard qu'il pose sur une cellule familiale et la façon dont se construit l'autorité et l'influence parentale. Même quand, en tant que père, on cherche à ne rien imposer de ses choix moraux ou esthétiques à ses enfants, on donne toujours une orientation.


Et c'est sans doute la seule façon de continuer à se construire intérieurement en vieillissant. Se vivre comme ce fameux héros bien connu des temps modernes: celui d'un père isolé, raillé pour ses goûts de vieux crouton rassis (pour passer des heures devant des vieux films danois ou japonais en noir et blanc ou écouter des disques étranges, directement issus des non moins farfelues années 60 ou 70) qui attend que sa progéniture espiègle et moqueuse atteigne un âge suffisamment adulte pour permettre à cette dernière de se rendre compte à quel point son géniteur est finalement un être secrètement prodigieux.
Quel que soit l'âge, on continue à rêver.

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le 27 oct. 2016

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guyness

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