Le film interroge. Derrière le road-movie lêché et les belles routes américaines, derrière l'optimisme libertaire porté par ce père, véritable chef de tribu, se cachent en réalité les racines de ce qu'il entend dénoncer. Voilà que ce père de famille vit reclu avec ses enfants dans les bois, hors du système, dans une sorte d'eden apparant. On chasse ensemble, on pratique des sports spectaculaires, on parle de tout et toutes les tâches sont harmonieusement réparties et accomplies. L'éducation est à la charge du père, en attendant le retour de la mère, atteinte de démence, et admise à l'hôpital, à contrecoeur. Il semble enseigner des choses fortes, anticonformistes, des traités de politiques, à la philosophie, en passant par la physique quantique. Les enfants semblent d'une profonde érudition et savent tout faire, surtout survivre dans les conditions les plus extrêmes. Une vraie république de Platon, selon les mots de la mère, dans une lettre.


Mais voilà cette mère, elle se tue, bipolaire et dépressive. Il faudra bien aller à la cérémonie d'enterrement, dans la civilisation. Ses parents veulent l'enterrer alors que son testament stipule une incinération. On se met à hair cette belle famille et à donner raison à ce père. Mais il ne veut pas y aller, il a peur, il sait que les choix qu'il a fait pour ses enfants sont radicaux. En refusant de les confronter à ce monde qu'il exècre tant et dont il a été libre de se détacher, il devient lui-même le fasciste qu'il dénonce.


En arrivant chez sa soeur, américaine moyenne, vivant dans un pavillon classique, la confrontation est rude, le choc éprouvant. Les enfants ne connaissent rien du monde, surtout des rapports sociaux. Certes ils connaissent tous les amendements américains par coeur, plus que n'importe quel autre enfant, mais ils ne connaissent les choses qu'en surface, par les pages d'un livre. Lorsque le père leur demande d'expliquer, de justifier leur posture, derrière l'apparent humanisme, se cache une pratique totalitaire, qui consiste à laver le cerveau, à obliger à l'opinion, forcément consensuel et donc mou ou à se taire.


Ils s'arrêtent dans un camping. L'ainé fait la connaissance d'une jeune femme. Il joue un rôle, récite ses bobards sur sa famille, mais rapidement le voilà désemparé, incapable d'interaction sociale, ne connaissant rien du monde. De la musique il ne connait que Bach, de la télévision, rien. Tout l'étonne. Et la jeune femme se moque de lui. C'est que pour lui, comme pour ses frères et ses soeurs, il n'existe pas d'autres conventions que les leurs, pas d'autres modèles alternatifs. Ils sont ridicules. Les joyeux lurons sont aussi des clowns tristes. Ils ont des airs de secte, eux qui récusent si fortement et parfois sans trop savoir pourquoi (la dernière ayant 8 ans) la religion.


Lorsqu'ils arrivent à l'église, les voilà qui cassent le deuil de la famille, refusant la cérémonie, refusant la religion. Tout se complique, tout devient crispé et tendu. Les grands parents incarnent la réussite américaine avec leur grande maison, leur argent, leur apparence policée. On les trouve obtus mais en réalité épris de leurs petits enfants pour qui ils sont prêts à tout, y compris à les séparer de leur père. Le grand-père regarde un des fils, constate ses multiples bleus, ses blessures, ses souffrances et hallucine de le voir armé de couteaux, d'arc et de flèches. Pour lui, c'est sont des enfants maltraités par un idéaliste autoritaire.


Les deux mondes s'affrontent, celui du golf, du puritanisme, du supermarché abondant, à l'ascèse bouddhiste proposé (imposé ?) par ce père de famille. Mais le film ne tranche pas. Les grands parents sont prêts à aider l'ainé à faire ses études, comme il semble le souhaiter, dans une grande université américaine. Ils pardonnent aussi tout au père, dans le deuil de leur fille et le père lui se rend compte de ses erreurs, de ses errances. Il confie ses enfants à ses beaux-parents. Mais ses enfants le suivent, vont déterrer leur mère, dans un acte insensé pour l'incinérer selon ses voeux (on pense. au choix d'Antigone face à Créon, de la liberté face à l'autorité sociale). Leur mode de vie va différer légèrement mais cette fausse liberté à peine. Le drame n'est jamais loin. Le doux amer de l'étendard libertaire.


Ainsi contrairement à beaucoup, je ne serais pas si catégorique sur l'anticonformisme du film, qui n'est qu'un anticonformisme de façade car la radicalité du choix porte les mêmes racines autoritaires que celles que nous imposent la société. Est-ce la liberté que devoir vivre parmi des étendues sauvages, coupés du reste du monde ? Rousseau disait que la liberté commence en société. A l'état sauvage, elle n'existe pas. Parce que pour que les enfants du film soient libres, il faudrait qu'ils eussent choisi. Or, ils n'ont eu de choix que celui de leur père. C'est ce que le film semble souligner avec une grinçante ironie.


Une illustration symbolique du mythe de la caverne. Parfois mieux vaut y rester que de sortir dehors pour s'y brûler les yeux. L'aveuglement est-il le prix de la liberté ? Vous avez 4 heures.

Tom_Ab
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le 25 oct. 2016

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Tom_Ab

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