Caravage est un film un peu bâtard, il se veut assez grand public, ne lésine pas sur les moyens, réunit acteurs français et italiens (sans doute pour mieux l'exporter chez nous) et en même temps on a quand même quelque chose d'assez audacieux et presque intimiste sur la création artistique. La photographie du film, très jaune, très sombre est clairement là pour reconstituer les ambiances qu'on peut retrouver dans les tableaux du Caravage. Disons que formellement ça a été soigné, étudié et qu'il y a une volonté de rendre hommage à cet artiste.
Mais paradoxalement on ne voit que très peu ses œuvres, souvent uniquement en insert et déformées. Et c'est là que se pose immédiatement la question du point de vue. On suit Louis Garrel (à la synchro labiale parfois douteuse) qui est appelé l'Ombre, d'où le titre en VO, et qui doit rendre un rapport au Pape pour savoir s'il faut ou non gracier le Caravage. Au début du film la caméra passe très vite sur les tableaux, on ne voit presque rien et puis l'Ombre voit la Méduse du Caravage, là on filme enfin le tableau en entier, on prend quelques secondes le voir et pour voir quel effet il fait à ceux qui le regardent. On sent que Garrel est fasciné.
Je me suis donc dit qu'on allait voir les tableaux du point de vue de l'Ombre, du point de vue de ce type qui dit ne rien connaitre à l'art et qui va être de plus en plus obsédé par ces œuvres. Et en fait non... on le fera une nouvelle fois pour Amor Vincit Omnia et c'est tout.
Et j'ai du mal expliquer pourquoi le réalisateur qui a clairement l'air d'adorer le Caravage rechigne à ce point là à montrer ses tableaux. Surtout qu'à côté de ça il va faire des reconstitutions magnifiques de certains tableaux marquants avec ses acteurs qui posent pour le Caravage.
Tant qu'à faire, continuons sur le point de vue, Garrel interroge donc plein de gens qui on connu l'artiste, à différentes époques, qui ont des avis très différents sur lui. Et forcément comment ne pas penser à Citizen Kane ? Il aurait fallu que les témoignages laissent plus transparaître la subjectivité de leurs auteurs, sinon la composition en flashback, où on passe d'un personnage à l'autre, n'a pas réellement lieu d'être.
Mais je chipote, le plus intéressant est le discours sur l'art, notons par ailleurs le parallèle entre Giordano Bruno et ce que le Caravage dit sur l'art. Il dit chercher le réel, chercher l'inspiration dans la vie des gens pour que ça leur parle (ce qui ne plait pas forcément à l’Église). Et c'est quelque chose qui me parle. C'est quelque chose qu'on peut facilement transposer au cinéma et je regrette un peu que le film n'ait pas réussi à puiser sa force dans le réel et la vie des gens. C'est beau, c'est bien fait, mais je ne dirais pas que ça fait "vrai".
En tous cas on voit bien que les débats sur les artistes et leur œuvre ne datent pas d'hier et vu que c'est un peu mon dada je trouve ça intéressant de voir ça développé au cinéma.
Bref, un film sympathique qui arrive à allier un côté grand public avec quelques réflexions pas inintéressantes sur l'art (voire même la religion), c'est clairement pas parfait, ça pourrait aller plus loin, mais je dois dire que je m'attendais à un truc assez médiocre car trop classique et j'ai été agréablement surpris.