Mais qu'est ce qu'elle fait peur cette Carmen ! A l'instar de la première de l'Opéra à Paris, la prestation de Geraldine Ferrar aurait vite fait de choquer les pudibonds et gardiens des bonnes mœurs. Prédatrice au regard fou, libre et folle furieuse, elle traverse le film comme une créature qui relève plus du cauchemar que du rêve.
En face, Don José, engoncé dans son costume de brigadier timide et un peu gauche malgré sa prestance. Poussé au crime par la sulfureuse gitane, sa transformation en brute bouffée de désir vengeur est saisissante, Wallace Reid semble devenir un tout autre homme.
Ce qui est frappant en visionnant ce "Carmen" de De Cecil B. DeMille, c'est de constater la liberté de ton encore préservée à cette époque des prémices des longs métrages. Le Code Hays n'est même pas encore un projet et le cinéma encore un territoire d'expérimentation narratif qui ose tout. Dans "Carmen" on s'empoigne, on se gifle, on se frotte impudiquement, on alterne les batailles de chiffonniers et les embrassades de force... Bref, ça a un cachet de passion enfiévrée bien plus réaliste que moult réalisations ultérieures.
Si le découpage en différentes scénettes chapitrées a tendance à casser l'histoire par moments, l'essentiel de la nouvelle de Prosper Mérimée est bien condensé en à peine une heure de pellicule. Pas grand chose à reprocher à ce muet donc, sous réserve d'adhérer à cette vision du personnage de Carmen.