Two Lovers
Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...
Par
le 13 janv. 2016
129 j'aime
26
Voilà plusieurs jours que je ne pense plus qu’à Carol, le nouveau film de Todd Haynes. Je ne le croyais pas capable de faire aussi beau et fort que Mildred Pierce, mais bien qu’il soit différent, Carol est une sublime love story dans le New York 50 doublée d’un puissant mélo familial, un chef d’oeuvre envers et contre Sirk, d’une sensualité folle. Rooney Mara, actrice de l’année, déjà. Encore.
Le titre ouvre la voie à la contradiction, thème majeur sinon central du film/de l’œuvre de Todd Haynes. Mildred, il y a quatre ans, se faisait violence pour intégrer le monde et donc travailler après son divorce bourgeois. Et c’est dans sa résurrection qu’elle allait trouver sa liberté, donc, mais aussi à mesure la souffrance terrible du drame familial. On pouvait aborder ce nouveau film (et son titre qui arbore aussi le nom d’une femme) en tant que prolongement du précédent, comme Rohmer faisait les siens. Ne rien changer pour que tout soit différent. Mais le nom de famille a disparu. Il ne s’agit plus de faire un portrait de femme mais d’y scruter en profondeur l’obsession, l’amour, la sensualité.
Carol, c’est donc cette femme pour laquelle Thérèse (Rooney Mara, sublime) le vrai personnage central du film, s’entiche, s’obsède, se libère, souffre et se souvient. Le souvenir fait partie du processus de cristallisation : Il permet au film d’être un flashback géant en offrant sa variation autour d’une séquence, qui placée en ouverture puis en épilogue, n’acquiert forcément pas la même tonalité et puissance dramatique. C’est la première grande idée du film à mes yeux, majestueuse, raffinée, que de prendre à revers les canons de construction du mélo, en choisissant l’unité de point de vue (Celui de Thérèse, en permanence) et en allant chercher les montées dans les creux et l’inverse.
C’est un film d’une grâce infinie. On voudrait qu’il ne s’arrête jamais, qu’il s’étire à l’infini, bercés que l’on est par l’utilisation divine de son grain de Super16 ou ses plans d’orfèvres (cadrés dans le cadre) tous plus beaux que le précédent, aussi bien dans leur gratuité plastique que dans leur matière à guider le récit. C’est d’une beauté folle à l’image de ces jeux de regard d’une sensualité renversante et pourtant, dans le même élan, le film ne cesse de dégager une violence interne assez éprouvante. C’est tout l’enjeu de sa contradiction formelle : L’éveil d’une harmonie miracle entre perfection formelle et détresse identitaire, entre son aspect Christmas Love Story et « Clause de moralité » conjugale.
Si le film fait en effet naître une histoire d’amour absolument pure entre deux êtres, il dilue son immédiate beauté en dessoudant une famille qui s’arrache bientôt la garde de l’enfant devant les tribunaux. C’est aller chercher la beauté d’un regard sous le vernis de l’horreur sociétale. C’est terrible comme pouvait être terrible l’affrontement entre Streep et Hoffman dans Kramer Vs. Kramer mais ça l’est moins dès que l’on plonge dans l’intimité de regard, que le film ne cesse de scruter, par la mise en scène autant que dans son écriture, puisque Thérèse, un peu à la manière d’une Vivian Maier qui s’humanise, traverse le film avec son appareil photo et vient saisir Carol dans sa beauté, aussi mise à mal soit-elle par les évènements douloureux de sa situation familiale.
Carol est surtout habité par deux actrices qui incarnent essentiellement deux visages, deux voies, deux regards. Elles parviennent à cristalliser notre attention sur elles autant que c’est le cas entre elles, malgré les embûches. Deux actrices incroyables jamais fondues dans un décor trop grand mais faisant corps avec lui, parvenant à jouer sur deux registres différents et complémentaires. Je craignais pourtant beaucoup Cate Blanchett avec qui j’ai un certain blocage mais je la trouve ici incroyable à chaque apparition, bouleversante dans chacune de ses postures, fascinante dans la moindre intonation de voix. Todd Haynes a su capter quelque chose en elle que je ne soupçonnais pas , autant que je n’avais vu personne parvenir à capter Kate Winslet comme il l’a fait dans Mildred Pierce. C’est donc une double silhouette dans le New York des années 50, en pleine attirance magnétique toujours néanmoins perturbé, aussi bien par le récit que la mise en scène. Jusqu’à former un entier pur, qu’on ne veut plus voir se dissoudre. La dernière scène est à ce titre un miracle venue de nulle part. J’en avais la gorge nouée.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2016
Créée
le 4 févr. 2016
Critique lue 615 fois
4 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Carol
Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...
Par
le 13 janv. 2016
129 j'aime
26
Un lent mouvement de caméra le long des façades, de celles où se logent ceux qui observent et qui jugent, accompagnait le départ de Carol White qui s’éloignait Loin du Paradis. C’est un mouvement...
le 31 janv. 2016
125 j'aime
7
Il y a 20 ans Todd Haynes choisissait comme ligne de conduite avec Safe puis Far From Heaven de filmer la femme au foyer américaine, de sa capacité à exister dans un milieu ne favorisant pas...
le 12 janv. 2016
52 j'aime
12
Du même critique
Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...
Par
le 24 juil. 2021
33 j'aime
5
J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...
Par
le 21 nov. 2014
33 j'aime
5
Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...
Par
le 10 déc. 2013
28 j'aime
8