Il y a un truc tout simple qui fait de Carol un très grand film : cela faisait une éternité que je n'avais pas vu des scènes de discussions dans des bars, dans des restaurants avec une petite musique d'ambiance aussi belles, prenantes, simples ! C'est pourtant le genre de scènes qui sont souvent maltraîtées car toute de suite reléguées au range de l'utilitaire scénaristique, rien ne s'y passe sinon des répliques. Il n'y a plus de naturel. Or ici, ces scènes, nombreuses sont euphorisantes, enchantées, réconfortantes en un sens et pour les sens, palpitantes. Todd Haynes parvient à créer des espaces de partage d'une subtilité et d'une sensualité extrême, tout en ménageant les effets. Cela passe par la photo - colorée rouge-vert notamment, ce qui mets au tapis des films pénibles comme le dernier Spielberg qui s’évertuaient à tout aseptiser niveau chromatique - et très travaillée sur l'ensemble du film. Cela passe aussi par le cadrage, sublime, c'est rare de sentir un tel naturel dans sa continuité logique, dès le premier plan, on est en face d'un film savant, qui n'est jamais poseur, et qui sait faire du neuf avec son sujet malgré son fort ancrage 50'. Il ne fait pas "genre", il fait tout sauf historique, voilà sa force, voilà son intérêt.
Cela m’amène à considérer la grande intelligence des partis prix de Haynes : la perpétuité du mélodrame. Disons que c'est le premier "vrai" mélo américain, avec musique du genre Jazz mais aussi Philippe Glass, qui centre sa narration sur le trouble sexuel tout en évitant soigneusement de poser les questions embarrassantes, en clair, le film est tout sauf un films sur l'homosexualité, c'est un mélo pur et dur, avec ses rebondissements sentimentaux et sa charge émotionnelle très forte, qui joue aux montagnes russes tout au long de son déroulement. J'ai envie de dire ENFIN ! Lorsque nous aurons des films avec des relations gays-lesbiennes-bi... sans que celles-ci soient au cœur de la réflexion cinématographique, ni des débats, ni des dossiers de presse, nous aurons enfin des films justes et la "guerre" sera déjà bien avancée. Du coup j'arrête de parler de cet aspect qui n'est que secondaire.


Le vrai trouble du film on l'aura compris n'est pas la nature de la relation mais bien la personne qui en est l'instigatrice. Et s'il faut dire que Rooney Mara ressemble parfois, avec son bonnet sur la tête, ses grands yeux de chat et sa petite bouche en avant à une Emanuelle Béart des jeunes années, la charme enfumé, malicieux, fort et glacé de Cate Blanchett, son élégance, sa façon de poser aussi, tout cela est un clin d’œil merveille à l'une des plus grandes peintres de l'Histoire - De Lempicka -, d'ailleurs la comparaison est évidente lorsque l'on appose les visages des deux actrices. Même coupe, mêmes petits yeux, même attitudes et surtout même amour des femmes, même ennui avec les hommes, même passion pour la photographie.
Bref, Carol c'est génial, ça finit sur une scène très forte, c'est bourré de passages presque abstraits (le flou, exploité à sa juste valeur)et ça remue simplement les tripes. L'année s'engage avec un super film très Noël.

Narval
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le 7 mai 2016

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