Si Sœurs de Sang marque le décollage de Brian de Palma, et Phantom of the Paradise sa consécration critique puisqu'il a obtenu le grand prix du Festival international du film fantastique d'Avoriaz 1975, Carrie représente son premier énorme succès commercial (les chiffres de Phantom of the Paradise n'étant pas communiqués...), tout en remportant le même prix que ce dernier en 1977.
Carrie est le tout premier roman de Stephen King, et l'achat des droits du livre propulsera l'écrivain, qui nous offrira par la suite de très nombreux bouquins aux adaptations cinématographiques parfois excellentes (Shining, Christine, La Ligne Verte...). L'influence de Carrie transcende alors son simple statut de film.
Carrie possède tout d'un De Palma typique, avec toutefois une touche de fantastique peut-être plus marquée que dans la plupart de ses films. Stylistiquement, on sent la patte du réalisateur dès l'introduction, avec une scène de douche entre douceur et voyeurisme érotique qui suit une scène d'intro mettant en lumière l'exclusion sociale du personnage de Carrie.
Ce personnage de souffre-douleur me rappelle franchement le personnage de Winslow dans Phantom of the Paradise, également victimisé durant la première partie du film, et perd tout ce qu'il a avant de renaître, bien déterminé à obtenir sa vengeance.
Mais Carrie est cependant bien plus sombre que les trois précédents films de De Palma. Il s'inscrit d'ailleurs dans une réalité tangible, au-delà de son aspect fantastique qui n'est que secondaire. Le personnage de Carrie est, avant même d'être télékinétique, une adolescente persécutée et trompée, qui souffre des moqueries de ses camarades et de l'intolérance et la rigueur inflexible de sa mère zélatrice d'un catholicisme extrémiste.
Mais c'est surtout grâce à son esthétique quasi-visionnaire que Carrie fonctionne encore aussi bien aujourd'hui. Durant la scène du bal, par ses ralentis qui saisissent l'instant, mais surtout ses couleurs apocalyptiques et son montage tendu, le film de De Palma anticipe clairement le Suspiria d'Argento qui sortira l'année suivante.
On trouve en effet des airs de giallo dans le film de De Palma, surtout dans la scène de mort de la mère, transpercée par toutes sortes de couteaux et renvoyant au San Sebastian crucifié dans le placard, mais aussi dans le reste du film, le sang étant un élément omniprésent et souvent déclencheur.
Bien sûr, impossible de ne pas saluer les prestations des acteurs, à commencer par Sissy Spacek, flamboyante dans chaque sens du terme, bien que Piper Laurie qui joue le rôle de sa mère soit aussi remarquable en tant que fanatique outrancière.
Tout en nous contant une triste histoire sur les problèmes liés à l'adolescence et les complications sociales que ça entraîne, Brian de Palma continue d'affirmer son style, mais Carrie se démarque un peu de sa filmographie, contrairement à son homologue de la même année Obsession dans lequel De Palma pioche directement dans ses plus profondes influences. Carrie est l'adaptation d'un roman, ce que De Palma fait peu, et je pense que la profondeur de l'histoire de Stephen King alliée à la beauté stylistique de la caméra De Palma provoque une certaine osmose dont on ne retrouvera pas d'équivalent dans la filmographie du réalisateur.