Seulement deux ans après sa parution, première adaptation au cinéma d'un roman de Stephen King et, inutile de faire comme si on ne le savait pas, certainement la meilleure après le Shining de Kubrick (allez, on peut à la limite considérer que la deuxième place de ce classement se jouera avec Misery).
Nous sommes en 1976 et De Palma, après avoir enchaîné Sœurs de sang, Phantom of the Paradise et Obsession commence à se construire une solide réputation. On avait déjà compris à cette époque que le gars devait avoir deux ou trois qualités de réalisateur, impression a priori confirmée par cette production horrifique soutenue par une large et impressionnante palette technique - Wikipedia nous apprendra notamment qu'il s'agit d'un des premiers films à avoir mis en valeur un montage de scène par adjonction d'images simultanées - ce qui, vous en conviendrez aisément, en impose vachement même sans concrètement comprendre ce que cela veut dire. En tout cas, pas besoin de tout saisir à la tecnhique cinématographique pour se rendre compte au premier abord que De Palma nous fait ici la démonstration d'une totale maîtrise de son art
jusqu'à cette fin incendiaire, cet apogée dédié tout entier aux flammes, ultime purification par le feu sacré des traumatismes de Carrie.
Car avant cela, elle en aura bavé notre chère ingénue. Entre une mère névrotique lui ayant inculqué le poids éternel du péché originel, la crainte de l'œil accusateur d'un Dieu ne tolérant aucune faiblesse de la nature et les violentes moqueries de ses camarades, on peut sérieusement commencer à voir se dessiner le portrait d'une adolescente un peu perturbée. Et quand le sang, pour la première fois, se mettra à couler d'entre ses jambes sans jamais avoir été prévenue de ce que cela signifiait, ce sera une crise de panique s'éployant dans la terreur pour une scène d'introduction à sa façon assez bouleversante. Car Carrie, c'est aussi une histoire de maltraitance psychologique, de tout ce mal qu'une fille (ou une femelle pour sa mère) peut encaisser en gardant cet air dépassé, en déphasage avec les évènements, jusqu'au point de rupture, jusqu'à limite du tolérable, jusqu'à ce besoin inexorable de rejeter cette souffrance accumulée dans un élan de fureur spontanée. Ce sera une libération, la nécessité d'apprendre enfin à dire non. Ce sera alors l'éclosion de la figure de la sorcière selon sa mère, l'apparition de ses pouvoirs télékinétiques, manifestation quasi magique de cette colère intérieure pourtant encore timidement formulée. Ce sera ensuite la rébellion face à l'autorité maternelle et sa répression quand il s'agira de sortir pour la première fois avec un garçon à l'occasion du bal de promotion. Tentative d'émancipation qui marquera inévitablement le retour au trauma initial du récit. Mais la boucle ne sera pas encore bouclée, Carrie a vraiment de sérieux comptes à régler et De Palma de nous enflammer dans l'exaltation d'une conclusion démesurée, cauchemardesque, consumée au dernier point par la psychose.
C'est ainsi que Carrie gagna tranquillement ses galons de référence dans la filmographie d'un réalisateur qui pour la première fois alors, franchissait avec ardeur le pas du thriller à l'horreur.